Thierry Laude, professeur de philo au lycée de Sarda-Garriga de Saint-André décrypte les sujets de philo. Série S SU...
Thierry Laude, professeur de philo au lycée de Sarda-Garriga de Saint-André décrypte les sujets de philo.
Série S
SUJET 1 :Peut-on vivre heureux dans l'injustice ?
Ce sujet peut être appréhendé à l'aide de deux éléments : une expérience de départ et une espérance d'arrivée. D'un côté, nous observons directement ou nous avons connaissance d'hommes et de femmes injustes qui vivent dans l'impunité et même l'opulence. Tel dictateur qui opprime son peuple demeure en son palais, profitant de sa richesse usurpée et même de l'honneur public. Nul ne l'inquiète, et parfois on le reçoit en grande pompe à l'étranger.
D'un autre côté, l'homme a l'espérance de voir les justes récompensés et l'injustice punie. N'est-ce pas là le fondement de toute éducation ? Nous enseignons aux enfants la justice et condamnons l'injustice ; mais nous savons qu'ils aurons à faire dans le monde l'expérience de l'inverse. Dans une certaine mesure il y a dans le monde – le monde vécu- le sentiment d'un conflit entre le coeur des hommes et le cours du monde.
La question est ici de savoir ce que l'on entend par « heureux » et par « injustice ». L'injustice pourrait être de façon élémentaire le fait de vouloir avoir plus que les autres ; le voleur veut plus de biens, le violeur plus de plaisir. Mais comment peut-on être heureux en faisant souffrir les autres ? D'un autre côté, il s'agit de s'entendre sur le terme « heureux ». Car si nous voyons bien un dictateur vivre dans la richesse et l'abondance de biens, il n'est pas sûr que la richesse soit le bonheur. Une distinction utile pourrait être celle des biens extérieurs et du Bien. L'argent, les dorures, la célébrité, ce sont des biens extérieurs. Le Bien peut être conçu comme intérieur ; c'est au moins la paix de l'âme avec elle-même. Ceci veut dire que l'injuste pourrait sembler heureux, au regard des autres, mais que dans son for intérieur - dans son âme - il aurait un remord ou une souffrance. Mais on dit parfois d'hommes qu'ils sont des « monstres », c'est à dire qu'ils font le mal sans la moindre souffrance d'âme, qui serait le signe de notre humanité. Si les monstres existent, il y a fort à parier que l'injuste puisse être heureux.
Cette question anime la philosophie dès l'Antiquité. Platon y consacre toute la République. Elle en est même le moteur : le livre compte dix parties. Dans la première, Socrate montre que la justice est supérieure à l'injustice. Puis ses amis le « prennent à partie » en lui opposant les nombreux exemples des hommes malhonnêtes et « heureux ». La formule de l'un d'entre eux est alors le fil directeur de tout le livre : « montre-nous les effets de la justice dans l'âme ». C'est à dire, montre-nous, Socrate, que le juste est heureux (même dans les tourments !) et que l'injuste est malheureux (même dans l'opulence !). Platon termine le livre par une dixième partie stupéfiante, à la fois mi-inspirée mi-délirante (en fait il n'en est rien) où il affirme avec la plus grande force que l'injuste ne peut jamais, jamais, jamais être heureux : car s'il a le souci de son corps, son âme est déséquilibrée.
SUJET 2 : Pour connaître, faut-il toujours renoncer à croire ?
Le sujet se fonde sur une opposition dont on pressent qu'elle n'est pas « frontale ». Car la connaissance est contraire à l'ignorance, mais elle ne lui est pas contradictoire. Ce qui est contradictoire à la connaissance, c'est l'ignorance. En fait, la croyance semble se placer à égale distance entre la connaissance et l'ignorance. Tout croyance risque d'être fausse. Mais elle peut être vraie aussi. Elle peut donc à tout moment faire « tomber » le sujet dans l'ignorance, ou le faire « monter » vers la connaissance. Le problème serait donc le suivant : Soit la connaissance et la croyance sont opposées : alors il faudrait nier la seconde pour accéder à la première. Mais nous risquons de mettre hors jeu toute l'amplitude du savoir humain : car nous croyons beaucoup de choses, et nous en connaissons peu. Nous risquons aussi de nier le mouvement naturel de l'esprit humain : car pour finir par connaître, il faut peut-être commencer par croire. Soit la croyance est un auxiliaire de la connaissance, c'est à dire qu'elle l'aide, qu'elle en est une étape, un marche-pied, qu'elle lui permet de s'édifier, quitte à ce qu'elle se nie ensuite, et s'efface. Mais dans la pratique, les croyances sont souvent de lourds obstacles à la connaissance : les hommes sont souvent enclins à adhérer à de profondes absurdités. Et comment peut-on passer des ténèbres de l'absurdité à la lumière de la connaissance ?
Comme toujours l'analyse des termes est importante : car nous comprenons bien que le mot de croyance à une extension très large : il peut viser la crédulité ou la crédibilité. La crédulité, c'est l'adhésion irréfléchie au déraisonnable ou à l'irrationnel. La crédibilité, c'est le caractère de probabilité d'un savoir qui n'est pas suffisamment avéré, mais semble ne pas tarder à l'être. Et la connaissance de son côté ne revêt jamais un caractère immédiat, mais elle est toujours l'objet d'une constitution complexe. Ce n'est pas une génération spontanée, c'est le résultat d'une naissance. Par conséquent, la croyance comme opinion droite (crédible) peut être conçue comme une étape dans l'élaboration de la connaissance ; et cela n'est pas incompatible avec l'affirmation de la raison.
SUJET 3 : Texte de Rousseau
Ce texte de Rousseau ne porte pas sur les sens, encore moins sur les instruments, ou sur le corps, mais sur la raison. En fait, il prend la défense du corps, des sens en tant qu'ils sont analogues à des instruments dans la saine constitution de la raison. Mais c'est elle, la raison, qui est visée. Rousseau prend comme point de départ un principe énoncé dès l'Antiquité, et discuté depuis par l'histoire de la Philosophie : c'est l'idée que tout ce qui est dans l'esprit passe d'abord par les sens. Ceci est formulé par Aristote, repris par Descartes, ici par Rousseau. Que l'élève se rassure, il n'était pas nécessaire d'indiquer cela. Ce qui est nécessaire, c'est de voir que tout le texte prend position et se fonde sur la formule : « tout ce qui entre dans l'entendement humain y vient par les sens », que Rousseau prend comme étant acquise.
Ce texte n'est pas l'illustration de la formule « un esprit sain dans un corps sain ». Rousseau défend plutôt l'idée d'« un esprit sain parce qu'un corps sain ». Contre ceux qui défendent l'idée que la raison ne se déploie qu'en se détournant des illusions véhiculées par le corps, Rousseau oppose l'idée que la raison ne se déploie qu'à la condition d'un souci particulier apporté au corps. Ce texte rend absolument vaine toute opposition entre les « métiers intellectuels » et « métiers manuels » par exemple. L'intellectuel et le manuel sont sans cesse en relation. Par conséquent, et d'une façon qui selon lui n'est pas contradictoire, si vous voulez que votre enfant ait une saine raison, il doit avoir un corps sain. Mais si nos pieds, nos mains, nos yeux, sont nos premiers maîtres, ce n'est pas parce qu'ils tapent dans des balles et des ballons (même si Rousseau est l'un des grands défenseurs de l'éducation physique) ; c'est parce qu'ils sont les instruments de l'âme : ils lui fournissent la matière de sa pensée.
En revanche, il y a vraiment une très grande interrogation sur ce texte : c'est la distinction entre la « raison sensitive » et la « raison intellectuelle ». Qu'est-ce que c'est que cette raison sensitive, cet espèce de mélange qui voit déjà apparaître en son sein ce qui pourtant selon Rousseau lui-même ne se développera qu'après (la raison) ? Mais cette distinction, si elle n'est pas théoriquement claire, est pour Rousseau « pratiquement » évidente. L'enfant qui fait un usage de ses yeux et de ses mains apprend déjà. Une sorte de raison est déjà à l'oeuvre chez lui. Peut-être que pour Rousseau c'est une seule et même raison qui est d'abord sensitive et ensuite intellectuelle : la raison sensitive est « germinale » (en germe) et la raison intellectuelle est aboutie. Il n'y a pas de distinction de nature mais de degré entre elles.
Série Littéraire
SUJET 1 : N'y a-t-il de preuve que par la démonstration ?
Le sujet porte sur la difficile notion de preuve. À partir de quand peut-on dire qu'une chose a été prouvée ? Et que signifie même prouver quelque chose ? On pense habituellement que ce qui est prouvé, c'est ce qui est démontré. Le langage courant (et nos publicitaires) abusent parfois de l'expression « scientifiquement prouvé » sans que l'on sache vraiment ce qu'elle désigne.
Mais le sujet distingue la preuve et la démonstration. Le « par » est ici important : il désigne un cheminement, une trajectoire : pour arriver à la preuve, il faut passer « par » la démonstration. Ce qui est en question, c'est la vision exclusive du cheminement de la connaissance : toute preuve doit-elle passer par la démonstration ? Il était alors possible de montrer que le processus de la preuve peut passer par autre chose que la démonstration mais aussi que s'il passe par elle, il passe aussi par d'autres étapes (expérience, démonstration, observation, définition, hypothèse...).
Ainsi, nous pouvons montrer que la démonstration seule ne suffit pas à fonder la preuve. La démonstration elle-même a aussi besoin d'être fondée. On peut démontrer ce que l'on veut, mais la démonstration ne vaut rien si l'on ne sait pas sur quoi elle porte. La définition est donc fondatrice. Un biologiste définit l'espèce qu'il étudie, l'astrophysicien définit ce qu'est une planète. L'observation passive intervient également, qui offre une matière brute à la formulation d'hypothèses. Et l'expérience intervient comme un élément important, qui permet à la démonstration de se conformer aux faits et d'exprimer une théorie. L'objectif était de montrer que l'élaboration du savoir est tout sauf immédiate : elle est l'objet d'une constitution complexe qui fait intervenir plusieurs éléments.
SUJET 2 : Est-il vrai que seul le présent existe ?
Cette question est d'une formulation assez spéciale. On ne demande pas : n'y a-t-il que le présent qui existe ? Mais est-il vrai que seul le présent existe ? Comme si quelqu'un avait dit cela, comme si cette idée était une opinion courante. Il pourra donc être utile à un moment de se demander : qui peut avoir intérêt à penser que seul le présent existe ? Cette question n'est peut-être pas théorique, mais pratique : elle porte sur une façon de vivre.
Tout d'abord, il semble évident de penser que seul le présent existe : le futur n'est pas encore, le passé n'est plus. Mais pourtant, le futur nous préoccupe sans cesse : nous pensons à demain, et peut-être plus encore qu'à aujourd'hui. Ensuite, le passé parfois nous pèse ; nous sommes pétris de regrets et de remords. Le passé et le futur existent donc, au moins à titre de représentations. Il faut en effet distinguer entre le passé, le présent et le futur et les représentations du passé, du présent et du futur. Et c'est peut-être cela qui fait de nous des humains : les animaux n'ont pas de souci du passé et du futur. Ils ne se « projettent » pas en pensée dans le temps. Ils n'en ont pas le souci. Mais peut-être que nous sommes nous-même bien plus bêtes, à nous projeter ainsi dans des non-êtres, à considérer comme étant ce qui n'est pas !
En fait, cette question du présent est une question pratique, une question de vie. En effet, celui qui est malheureux, c'est celui que le passé mine, que le futur inquiète. Il est dans une certaine mesure fou ou insensé, car il entretient lui-même une souffrance qui n'a pas de cause. Le problème pourrait être le suivant : Soit le présent existe seul : alors il ne reste plus qu'à mener une vie concentrée sur l'instant présent, et à me détourner des regrets et des inquiétudes. Mais n'est-ce pas là abandonner mon humanité ? L'homme est celui qui se projette dans le temps. Si je n'ai ni passé (même douloureux) ni avenir (même inquiétant), suis-je encore digne d'être un homme ?
Soit le présent n'est pas seul à exister, mais le passé et le futur existent aussi, en tant que représentations de l'esprit. Mais alors, préoccupé par ce qui n'existe pas, est-ce que je ne produis pas moi-même mon malheur en réintroduisant dans le cours de ma vie présente les fantômes du passé et les spectres de l'avenir ? Sans compter que la notion de présent est très problématique. Car le présent est impossible à désigner. Dès que je désigne l'instant présent, il s'est enfui. Le présent n'est lui-même qu'une représentation : mon présent est mon imagination du présent. Le présent est peut-être une illusion : ma pensée surgit dans un présent qui déborde encore sur le passé qui tarde à disparaître et sur le futur qui promet de venir. Et puis le présent n'est peut-être pas une valeur : celui qui ne vit qu'au présent manque sa vie, n'a ni la source des racines ni l'espérance de fleurir.
SUJET 3 : Texte de Kierkegaard
Ce texte traite du lien entre l'éthique et le bonheur pour l'homme. C'est le devoir qui apparaît comme le mot et l'expérience qui opèrent une conciliation entre tous ces éléments. Kierkegaard part d'une confusion qu'il juge assez « curieuse ». Alors que le devoir est quelque chose d'intérieur à l'homme, celui-ci le considère comme quelque chose d'extérieur, c'est à dire comme ce qu'il n'est pas. Les termes d'intérieur et d'extérieur renvoient au rapport que l'homme entretient avec lui-même. Celui qui considère le devoir comme comme quelque chose d'intérieur agit de gré et non de force, il fait ce qu'il a à faire non parce que cela est imposé de l'extérieur par une autorité, mais parce qu'il doit le faire en tant que c'est dans sa nature. Le devoir n'est pas l'obligation. Le devoir émane de l'homme lui-même : il veut l'accomplir, et se bat pour l'accomplir, même lorsque des obstacles se dressent sur sa route. L'obligation est imposée du dehors : et s'il avait le choix, l'homme s'y déroberait.
Mais il faut prendre garde à l'étrangeté du texte, qui se révèle à la fin : Kierkegaard ne parle pas de celui qui manque à ses devoirs, de celui qui n'accomplit pas son devoir, de l'homme injuste, en somme, mais il parle de l'homme qui désire accomplir son devoir mais qui n'y arrive pas parce qu'il ne comprend pas que celui-ci doit émaner de lui-même. Et il décrit un tel homme : il parle, il s'inquiète, il consulte. En somme, il est victime des trois extériorités impliquées par le regard d'autrui, sa consolation, ses conseils. Cet homme est déchiré : il voit dans le devoir une foule d'obligations, et il se voit lui-même comme un individu accidentel : non pas un homme, mais quelqu'un qui a tel nom, telle fonction, telle condition... Car tel semblent bien être pour Kierkegaard la source et le secret du bonheur : l'homme doit être en paix et en accord avec lui-même. Accomplissant son devoir comme étant précisément SON devoir, l'émanation la plus vraie de SA nature, il s'accomplit en tant qu'homme, et il parvient au bonheur, qui est un effet de soi à soi.
Série ES
SUJET 1 : Les faits historiques doivent-ils être interprétés ?
Dans ce sujet, deux termes apparaissent d'entrée de jeu comme problématiques, car ils sont l'objet de toutes sortes de confusions : qu'est-ce en effet qu'un fait historique ? Et que veut dire au juste interpréter ? Interpréter, au sens du langage courant, c'est pour un sujet faire une proposition de sens par rapport aux pensées, aux actes, aux paroles d'un autre sujet. En somme, c'est dire comment on comprend l'autre. Le problème, c'est que nous nous livrons alors au subjectivisme le plus confus : pour une même oeuvre d'art, il y aura autant d'interprétations que de têtes. Pour un fait historique, il en ira de même : le soldat Français, le soldat Allemand, l'historien Français, l'historien Allemand auront des interprétations différentes de la Seconde Guerre Mondiale. Si donc le fait historique est interprété, il est incompréhensible ; mais s'il ne l'est pas, nous n'avons aucune chance de le comprendre. Nous décelons ici une distinction à l'arrière-plan des termes du sujet : le « fait historique » semble viser l'objectivité ; « l'interprétation » semble engluée dans la subjectivité. Mais l'expression « fait historique » est ici trompeuse : et le terme de « fait » est encore plus trompeur. J'ouvre les yeux ; je vois que le ciel est bleu. C'est un fait. Il apparaît comme une réalité immédiate. Mais le fait historique n'a jamais cette structure : il n'est jamais donné. Le fait historique est un problème, et est toujours quelque chose de reconstruit et d'élaboré. Ainsi donc le sujet : « les faits historiques doivent-ils être interprétés ? » possède déjà sa réponse dans l'intitulé. S'il y a un fait historique, c'est donc qu'il a déjà été interprété. Mais que veut dire interpréter ? Ce n'est pas donner son avis. C'est donner du sens. C'est dégager un sens en questionnant une action sous tous les angles (humains et même moraux) possibles. L'objectivité de l'histoire est très paradoxalement un rapport de sujet à sujet. Le sujet historien cherche un sens au sujet historique. L'interprétation est donc à la base de l'histoire.
SUJET 2 : Travailler, est-ce s'affranchir de toute dépendance ?
Le sujet s'interroge ici sur le lien entre le travail et la liberté. Difficile ici de ne pas songer à l'injustice faite à Hegel dont la formule « le travail rend libre » fut reprise par les Nazis pour qui le travail n'était rien d'autre qu'une des pires formes de la servitude. Mais il faut ici éviter une sorte de parasitage et lire le sujet. Que veut dire ici « travailler » ? On peut penser qu'il s'agit d'exercer un métier. Mais en quoi un métier nous « affranchit de toute dépendance » ? Et que dire des métiers qui sont des formes modernes de la servitude ? Travailler, c'est bien au contraire être dépendant, et dépendant de ce travail même. Étymologiquement en effet, il est coutumier de dire que le travail c'est la torture. Qui a déjà vu une torture ou une souffrance qui libère ? Mais le travail est peut-être ici à prendre en un sens à la fois plus large et plus précis. Il est une activité transformatrice. Par le travail, le sujet transforme un objet. Le travail consiste à donner une autre forme à ce qui en possède déjà une. Le cultivateur transforme son champ, le sportif son corps, le maçon une maison... Mais ce qui va permettre au travail de devenir libérateur, c'est qu'en plus il doit transformer celui qui travaille. En fait, celui qui travaille sera libre (et libéré par le travail) s'il extériorise son intériorité dans le travail.
Son travail doit être pour lui l'occasion d'exprimer sa liberté. Donnons un exemple : le « charlot » du film les « Temps Modernes » ne fait que boulonner et déboulonner avant d'être aspiré par la machine : dans ce métier, il ne se libère pas, puisque son intériorité est niée : on pourrait mettre n'importe qui à sa place. En revanche, le château du facteur « cheval », réalisé à mains nues, est un travail qui libère car il révèle l'intériorité irréductible de l'artiste autodidacte ; personne n'aurait pu le faire à sa place
En revanche, le « toute » du sujet (« toute dépendance ») est problématique : s'affranchir de toute dépendance, est-ce même concevable ? Et que veut dire dépendance ? Dépendance financière, morale ? De toute évidence, bien des métiers ne sont pas conformes à la vraie nature du travail qui est de donner au sujet l'occasion d'affirmer extérieurement sa liberté intime.
SUJET 3 : Texte de Heidegger
Ce texte ne porte pas sur la parole (citée seize fois en douze lignes !) mais sur la nature de l'homme. Qu'est-ce que l'homme ? Heidegger reprend une formule d'Aristote souvent traduite par « l'homme est un animal rationnel » dont il rappelle et développe la vérité étymologique. Attention, cette indication n'était pas exigée des élèves. En revanche, il fallait bien voir que l'homme est ici défini par la parole. L'étrangeté du texte est qu'il n'est pas argumentatif. Il n'est pas non plus explicatif ; il veut au contraire révéler ou faire apparaître une façon d'être, notre être, d'ailleurs. Qu'est-ce qui fait de nous des hommes ? La raison ? Le rire ? La technique ? Bien avant tout cela et bien après que cela se soit produit, c'est la parole qui surgit. Comme toujours chez Heidegger, nous sommes plus près de la poésie que de l'explication technique. Ainsi, lorsqu'il dit que la parole ne provient pas d'une volonté antérieure. On pourrait croire en effet que l'homme se tait, puis veut parler, se consulte, parle enfin. Mais, dit Heidegger, il n'en est rien. Avant même de se consulter, l'homme est déjà parlant. Il n'est rien d'autre qu'une parole. Et la parole n'est pas un « à-côté », quelque chose de plus que l'homme aurait par rapport aux animaux (en ce sens Heidegger s'écarte peut-être du sens d'Aristote). Tout homme est parole, et toute parole est humaine.
Cette analyse permet de développer la question de l'humanité. En effet, si l'homme se définit par la parole, alors celui qui ne parle plus, mais pratique la violence, ou qui nie la parole de l'autre, celui-là perd son humanité. En revanche, une question peut surgir concernant cette analyse. Le texte tout entier semble évoquer une parole dépourvue de destinataire. À qui en effet est-ce que nous parlons dans la lecture ou dans le rêve ? Et pourquoi l'homme parle-t-il autant en lui-même et si peu aux autres ? Peut-être au fond que le but de ce texte est de ramener la parole dans le champ de la société et de faire en sorte que les hommes se parlent.
Série STG
SUJET 1 : Y a-t-il un sens à résister à la technique ?
Le terme de résistance ici employé est très fort : résister, c'est s'opposer à une menace afin de s'y soustraire. Cela suppose parfois éradiquer cette menace. Mais cela a-t-il un sens dans le cadre de la technique ? Ce qui n'a pas de sens en effet, c'est ce qui est absurde (un puits sans fond) ou infaisable (soulever une montagne). Dans le cadre du sujet, deux options semblent possibles : soit il n'y a pas de sens à résister à la technique parce que l'individu est impuissant à le faire, soit cela est insensé parce que la technique, c'est le progrès, et que le progrès s'auto-justifie, est une valeur absolue.
Mais que veut dire résister à la technique ? Cela ne saurait signifier le refus de la technique, ce qui serait alors, il est vrai, insensé. Et ainsi quand Voltaire invite Rousseau à tourner le dos au progrès et à venir avec lui brouter de l'herbe tous deux nus et à quatre pattes dans la forêt de Fontainebleau, il se moque bien de lui. Résister à la technique, cela peut vouloir dire agir de telle sorte que des limites soient posées entre ce qui peut être fait et ce qui doit être fait. En effet, le clonage humain reproductif est possible en théorie. Mais il doit demeurer interdit parce qu'il est la négation de l'identité humaine.
Mais qu'est-ce qui résiste à la technique ? C'est la morale. En un sens, résister à la technique, ce n'est pas être contre le progrès, c'est être pour un autre progrès, un progrès moral, dont il s'agirait d'opérer une conciliation avec le progrès technique. Et il est alors tout aussi insensé de ne pas résister à la technique. Car alors, cela signifierait s'abandonner au mythe d'un progrès auto-régulé et qui nous mènerait comme par magie au bonheur collectif. Enfin, il s'agit d'en revenir à une définition de la technique. Celle-ci n'est pas synonyme de progrès. La technique, c'est un moyen. À partir du moment où elle veut être autre chose, où elle veut se poser comme une fin, alors, il est nécessaire d'entrer en résistance, non pour l'éradiquer, mais pour la ramener à sa vraie nature.
SUJET 2 : Est-ce l'ignorance qui nous fait croire ?
Les deux mots ici proposés ne sont ni identiques, ni semblables, ni contraires, ni contradictoires. L'ignorance s'oppose au savoir. Être ignorant, c'est manquer la vérité, soit parce qu'on en est dépourvu (je ne sais pas s'il y a une vie après la mort) soit parce qu'on affirme une erreur (il y a des habitants sur la lune). Être croyant, c'est parier, en un certain sens. La croyance est une possibilité de vérité ou de fausseté. En un mot, une croyance peut être fausse, mais elle peut aussi être vraie. La croyance a ceci de commun avec l'ignorance qu'elle n'arrive pas à se fonder. Si en effet celui qui croit a des preuves de ce qu'il avance, alors il n'est plus croyant mais savant. Et l'ignorant ne peut prouver la fausseté qu'il défend. Le sujet porte ici sur le lien entre l'ignorance et la croyance. Il affirme une sorte de fondement de la croyance sur l'ignorance.
C'est en somme parce que je ne sais pas que je vais me mettre à croire. Par exemple, c'est parce que j'ignore si l'âme survit après la mort que je vais croire au paradis. En effet, l'ignorance ouvre toutes les portes. Le savoir les ferme toutes, hormis une seule, qu'il affirme être la vérité. Le problème ici consiste à affirmer que tous ceux qui croient sont ignorants, en somme que l'espèce humaine est stupide. Mais l'ignorance, si elle rend possible la croyance, ne suffit pas à la fonder. En effet, l'ignorance ferme toutes les portes. Elle autorise donc à choisir celle que l'on veut. Mais pourquoi celle-ci plutôt que telle autre ? Reprenons l'exemple de la vie après la mort. Ce n'est pas parce que j'ignore la réponse que je vais croire au paradis et à l'enfer. Je peux tout aussi bien croire qu'il n'y a rien du tout. En revanche, le moteur de la croyance semble être le désir. Quelqu'un peut être ignorant et très prudent. L'ignorance n'est pas nécessairement un défaut. Mais celui qui ignore si l'on peut lire l'avenir et va croire aux horoscopes le fera car il a le désir d'influencer le cours de son existence. Ainsi, il est faux de penser que l'ignorant est insensé. Celui qui est insensé, ce n'est pas l'ignorant, c'est celui qui est dépassé par ses désirs.
Sujet 3 : Texte de Spinoza
Ce texte de Spinoza est de ceux qui doivent faire réagir. La dernière formule surtout au regard de l'histoire fait froid dans le dos. Personne ne s'oppose jamais à la raison en obéissant à son pays. De suite, nous pensons à des lois injustes, contraires à l'ordre moral et à la raison individuelle. Que veut donc dire Spinoza ? Que toute révolte est folie ? Que toute servitude est raison ? En fait, il faut reprendre la phrase : Spinoza parle de la raison de l'individu et des lois de son pays.
Le point de départ de son analyse est une distinction entre deux sortes de raisons : la raison de l'état et la raison de l'individu. Ces deux raisons sont en principe en accord l'une avec l'autre. Ceci est fondé dans le début du texte : le but de l'homme dans la nature, c'est la sécurité et la liberté. Le but de l'état, c'est la liberté et la sécurité de l'homme. La raison de la société et celle de l'individu tendent donc vers une même fin. Que faire donc lorsqu'il y a un désaccord entre les lois du pays et les exigences de la raison individuelle ? Et que faut-il choisir entre ce que ma raison me prescrit et ce que les lois de mon pays m'ordonnent ?
L'argument de Spinoza est en faveur de l'obéissance : il faut accorder la préférence aux lois de son pays contre sa propre raison. Mais n'est-ce pas là un appel à la servitude ? Et si l'homme est fait pour être libre, comment peut-on considérer comme rationnel de s'aliéner ? La réponse de Spinoza est lucide : il sait bien que l'obéissance à une mauvaise loi est un mal. Mais l'étrangeté de sa réponse tient dans le fait que le mal ponctuel et individuel sera globalement lissé dans le bien collectif de la sécurité offerte par la société. En somme le mal individuel doit être surmonté par le bien collectif. Ainsi, quand j'obéis à une loi mauvaise, loin de m'opposer à la raison, je continue à lui obéir, car elle prône globalement l'ordre. Tel est le paradoxe assez fort, il faut le dire, de ce texte de Spinoza. Pour le comprendre, il faut se représenter la réponse opposée à celle du texte. Supposons que je décide d'obéir aux lois de ma raison et que je me rebelle contre l'état. Alors celui-ci bascule dans la violence. Pour Spinoza, il est alors évident que la violence consécutive ne saurait s'accorder ni avec la raison de la société ni avec celle de l'individu. Il n'en reste pas moins que la question du droit à la désobéissance, à la rébellion, la révolte même peuvent être posés dans les termes de leur conformité à la raison. Jusqu'à quel point l'obéissance à une loi mauvaise peut-elle rester conforme à la raison ?source:clicanoo
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