Pourquoi le club des monarchies du Golfe prend le Qatar en grippe

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Trois membres du Conseil de coopération du Golfe, les Émirats arabes unis, le Royaume de Bahreïn et l’Arabie saoudite, conduits par cette ...

Trois membres du Conseil de coopération du Golfe, les Émirats arabes unis, le Royaume de Bahreïn et l’Arabie saoudite, conduits par cette dernière, ont décidé mercredi de rappeler leurs ambassadeurs au Qatar. Les trois monarchies reprochent à Doha son soutien aux Frères musulmans dans la région et ses ingérences dans leurs affaires internes. Le Qatar risque-t-il d’être isolé ? Décryptage avec Barah Mikaïl, spécialiste du Moyen-Orient et chercheur au sein de l’institut de géopolitique FRIDE.
 
JOL Press : L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont rappelé mercredi leurs ambassadeurs au Qatar. Pourquoi ont-ils pris une telle décision ?
 
Barah Mikaïl : L’Arabie saoudite, pays leader sur cette question, a décidé de prendre position sur la base de ses désaccords avec le positionnement du Qatar sur certaines questions stratégiques, notamment au sujet de ses liens avec les Frères musulmans. Les Frères musulmans égyptiens continuent en effet à être soutenus par le Qatar, en dépit du coup d’État en Égypte [contre le président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, en juillet 2013] qui aspire à exclure totalement les Frères musulmans du jeu égyptien.
L’Arabie saoudite n’est pas seule à partager ces considérations anti-Frères musulmans. Avec le début du Printemps arabe, les Émirats arabes unis ont également pris un positionnement fort contre les Frères musulmans et contre la possibilité, pour eux, de déterminer des perspectives politiques d’évolution au niveau du monde arabe. Concernant le Royaume du Bahreïn, celui-ci a été très soutenu par l’Arabie saoudite, notamment au début des manifestations apparues avec le Printemps arabe. L’Arabie saoudite a eu un positionnement fort en faveur de la famille régnante bahreïnie : on se souvient notamment que, malgré des zones d’ombre qui subsistent sur cette question, l’Arabie saoudite a pris l’initiative de constituer une troupe de 10 000 hommes afin d’appuyer la famille régnante du Bahreïn.
JOL Press : Quelle est la position des autres pays du Golfe sur cette décision ?
 
Barah Mikaïl : Concernant les autres pays du Golfe, les Omanais sont fidèles à leurs principes, c’est-à-dire la neutralité et le refus de prendre un positionnement qui pourrait polariser les perspectives. Concernant le Koweït, il ne veut pas suivre les orientations du Golfe, notamment lorsqu’elles sont menées par l’Arabie saoudite. Il préfère se donner une marge pour montrer qu’en cas de rééquilibrage des relations entre les pays du Golfe, il serait le parfait médiateur.
JOL Press : Pourquoi le Qatar soutient-il les Frères musulmans ?
Barah Mikaïl : Pour bien comprendre le positionnement du Qatar sur cette question, il faut revenir au milieu des années 90 lorsque le cheikh Hamad, qui vient de laisser le pouvoir à son fils, avait opté pour un renouvellement de la diplomatie qatarie et avait souhaité une ouverture maximale du Qatar à tous les acteurs pouvant être présents sur la scène régionale.
Concernant les Frères musulmans, il y a un débat contradictoire : une partie des observateurs estime que le wahhabisme [idéologie islamique rigoriste] du Qatar le met idéologiquement en phase avec les Frères musulmans. Le Qatar aspirerait donc à renforcer une forme d’islamisation des perspectives politiques de la région. Une autre thèse veut que le Qatar laisse, par pragmatisme, les perspectives ouvertes aussi bien vis-à-vis des Frères musulmans que vis-à-vis d’acteurs ne faisant pas partie de ce « moule » des Frères musulmans. À mon sens, c’est plutôt cette seconde option qui prévaut. Le Qatar veut non seulement avoir un maximum d’ouvertures vis-à-vis d’un maximum d’acteurs pour toujours avoir une influence sur l’ensemble de ces acteurs régionaux. On l’a notamment vu dans le passé avec les relations ouvertes du Qatar aussi bien avec les Palestiniens qu’avec les Israéliens.
Mais à où la stratégie du Qatar a prouvé ses limites, c’est quand on a vu qu’elle pouvait difficilement prétendre à de bonnes relations avec les Frères musulmans sans se mettre à dos les forces qui sont contre eux – on l’a vu dans le cas égyptien. Il ne faut pas non plus oublier qu’il y a aussi, en moins en partie, cette rivalité entre le Qatar et l’Arabie saoudite qui pousse le Qatar à se démarquer. Si les Frères musulmans peuvent être une carte à partir de laquelle le Qatar fait savoir sa différence et sa spécificité, cela lui permet d’exister diplomatiquement. S’il s’aligne au contraire sur la ligne saoudienne, il risque rapidement de rester dans l’ombre de l’Arabie saoudite. Il lui faut donc montrer sa présence sur d’autres dossiers qui contrebalancent ce que veulent et pensent les Saoudiens.
JOL Press : Les trois monarchies reprochent à Doha ses ingérences dans les affaires de ses voisins. De quelles sortes d’ingérences parle-t-on ?
 
Barah Mikaïl : Je crois qu’une partie des ingérences pointées du doigt par ces pays-là sont dues aux discours très médiatisés du Cheikh El Karadaoui, qui est soutenu de manière forte par le Qatar. Il a notamment suscités la colère des Émiratis du fait de ses déclarations pro-Frères musulmans. Mais à défaut d’éléments concrets donnés par les trois monarchies du Golfe sur cette question, on ne peut que spéculer sur la donne. À mon sens, ce qui prévaut à travers cette accusation d’ingérence, c’est aussi une forme d’obsession de la part de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis vis-à-vis de leur propre stabilité et sécurité.
L’Arabie saoudite est obsédée par le fait que tout ennemi politique potentiel pourrait essayer d’avoir une influence sur son territoire et donc pourrait procéder à des attentats ou des tentatives d’attentat. L’accusation d’ingérence serait donc plutôt l’anticipation d’une possibilité d’ingérence ou d’une possibilité d’action de la part de cellules qui œuvreraient en faveur des Frères musulmans. Les faits montrent que, même si les Frères musulmans peuvent se positionner violemment sur le plan rhétorique, ce n’est pas pour autant qu’ils ont l’idée d’une quelconque tentative d’attentat sur le territoire saoudien ou sur le territoire émirati.
Je pense que c’est surtout pour l’Arabie saoudite une manière de montrer qu’elle souhaite s’unir avec les autres pays du Golfe autour des mêmes options stratégiques communes. Et de dire aux Qataris que, s’ils laissent la porte ouverte aux Frères musulmans, ils ouvrent la porte à un corps étranger aux positionnements et aspirations des autres pays du Golfe.
JOL Press : La décision des trois monarchies du Golfe risque-t-elle d’isoler le Qatar dans la région ?
 
Barah Mikaïl : Sans parler de non-événement, je n’exagèrerai pas pour autant cet événement. Il y a eu beaucoup de crises dans le passé, particulièrement entre l’Arabie saoudite et le Qatar. C’est avec le Printemps arabe que les deux pays ont décidé de mettre de côté leurs accusations et leurs suspicions mutuelles, mais il y aura constamment des piques lancées entre ces deux pays. On a ici la représentation d’une pique supplémentaire.
N’oublions pas également que, aussi bien côté saoudien que côté qatari, les deux pays ont leurs propres fondements de politique étrangère et les deux pays savent qu’ils ont un canal diplomatique qu’ils développent et à partir duquel ils aspirent à une influence. Concernant leurs alliés potentiels respectifs, je vois mal quel allié pourrait exclure un pays au détriment de l’autre. Les États-Unis par exemple veulent des bonnes relations avec l’Arabie saoudite et dans le même temps ils veillent à des bonnes relations avec les Qataris.
Ne croyons pas que le Qatar sera isolé. Par contre il faut bien voir que le Qatar a quand même déployé une diplomatie qui paraît très ambitieuse par rapport à ses moyens effectifs. Je crois que c’est ça qui explique que les Qataris sont remontés aujourd’hui devant une telle décision. 

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press
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Barah Mikaïl est spécialiste du Moyen-Orient et de l'Afrique du nord et chercheur au sein de l’institut de géopolitique espagnol FRIDE. Il est l’auteur de Une nécessaire relecture du Printemps arabe, Editions du Cygne, 2012, de La Syrie en cinquante mots-clés, L’Harmattan / Comprendre le Moyen-Orient, 2009 et de l’article « Le paradoxe diplomatique du Qatar comme moyen d'accès à la consécration » pour la Revue Internationale Stratégique, 2008.
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