Lettre ouverte au Président de l’Union des Comores Excellence, Monsieur le Président Azali Assoumani Une jeune fille vient de tro...
Lettre ouverte au Président de l’Union des Comores
Excellence, Monsieur le Président Azali Assoumani
Une jeune fille vient de trouver la mort sur une plage du Nord de Mayotte dans la nuit du samedi au dimanche 16 septembre. Les gendarmes lui donnent 8 ans. La méchanceté nous ferait dire que la brièveté de sa vie vous incombe à vous personnellement. Vous avez été, Monsieur le Président, l’homme de la mise en place de l’Union des Comores, avec le système de présidence tournante qui confiait les rênes du pays à un ressortissant d’une île autonome tous les 5 ans. Vous avez réussi cela, sans bain de sang, et la communauté internationale vous a salué pour cela. Vous ne l’avez pas fait seul, il faut être juste, mais vous avez été l’artisan de cette transition pacifique. Vous n’avez pas été tenté durant les dix années d’alternance de vous immiscer dans les affaires politiques, et c’est tout en votre honneur.
Mais, cher Président, ce vent mauvais qui plane sur l’archipel est étouffant. Les fils et les filles, les pères et les mères sont jetés sur la route de l’exil, chaque nuit. Il faut le reconnaître, excellence, votre politique ne porte pas ses fruits. Là est votre échec personnel. Chaque jour passe, depuis votre retour aux affaires, sans que la terreur ne cesse de foudroyer les citoyens de ce pays que vous avez promis de servir. La corruption, les élections bâclées, la violence policière, les arrestations arbitraires se multiplient. Il n’y a plus d’oppositions qui puissent vous apporter la contradiction. La presse est muselée, les journalistes menacés, les professionnels qui tentent de faire leur travail, licenciés. Voilà votre bilan en un an de retour au pouvoir.
Une petite fille morte sur une plage de Mayotte, est-ce là votre bilan ? A l’évidence, oui, excellence. Des bateaux font la navette pour Mayotte en provenance de l’île d’Anjouan, parce que l’Etat central ne propose rien aux îles autonomes. Vous savez tout cela, faut-il s’épuiser à vous le rappeler.
Des voix s’élèvent à Mayotte pour dénoncer la pression démographique. Des mots de haines fusent ici et là devant le bureau de la préfecture. Pression démographique, vous savez ce que c’est. Les îles Comores indépendantes se vident de leur population et cela se solde par des drames. Rien ni personne ne pourra empêcher des insulaires de circuler, c’est absurde même de le penser. Mais le fait est, que ce n’est pas de gaieté de cœur, pour la majeure partie des personnes qui font la traversée, qu’ils « achètent la mort ». Ce terme, je l’ai entendu et enregistré lors d’un reportage sur les hauteurs de Kawéni. Les personnes en ont conscience que ce bras de mer est meurtrier. A quoi[next] sert-il encore de le rappeler.
Mais vous, excellence, que proposez-vous ? La fermeture des frontières. Le refus de réadmettre des nationaux. Voilà votre politique. Les comoriens des Comores indépendantes visitent leur famille à Mayotte et c’est bien normal. Mais quel est votre vision, monsieur le Président ? Cette jeune fille, de 8 ans méritait-elle ce triste sort ? Bien sûr, il est commode et c’est normal de mettre en accusation l’administration française. Elle occupe un « territoire, illégalement », comme le rappelle les Nations-Unies. Inutile de rentrer ici dans un débat rhétorique sur la présence française sur l’île de Mayotte, sans s’épuiser dans une glose interminable. Voilà une puissance qui est là, qui est bien là et parce que la population de Mayotte le lui permet, elle s’impose. Faut-il s’en accommoder ? Vous avez décidé et c’est votre droit de le contester. Mais, si vous êtes revenus au pouvoir, est-ce pour répéter les mêmes recettes d’hier qui ont donné cette tragique mort d’une jeune fille de 8 ans sur cette plage du Nord de Mayotte ?
La population de Mayotte va lui offrir une sépulture comme l’exige l’Islam. Mais pour sa mémoire, donnez des moyens aux hôpitaux à Anjouan, à Mohéli, à la Grande Comore pour que plus jamais, une petite fille de 8 ans ne puisse finir jetée sur une plage comme quantité négligeable. C’est votre mission, excellence, assumez-le ou partez.
Nassuf Djailani, écrivain
©Projectîles Revue
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