Il est temps de réformer notre système de santé aux Comores

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Un état de lieux assez rapide démontre que le système de santé, tel qu’il fonctionne, aujourd’hui, dessert le citoyen. L’hôpital est mala...

Un état de lieux assez rapide démontre que le système de santé, tel qu’il fonctionne, aujourd’hui, dessert le citoyen. L’hôpital est malade. Entretien avec le Dr Mohamed Moundhirou Djoubeiri, chef de service néphrologie / dialyse au CHN El-Maaruf, à l’occasion de la parution du n° 8 de Uropve sur la santé aux Comores.

Le système de santé dans l’Union des Comores paraît sérieusement grippé…

Se rendre à l’hôpital pour des soins adéquats devient une illusion pour le patient. Normalement, lorsqu’un patient arrive à l’hôpital, il aimerait être bien servi, avoir une guérison rapide. Les dysfonctionnements ont pour conséquence la désolation des patients.

Le système actuel a été mis en place depuis 1994. Depuis, il n’a jamais été évalué. Au fil des années, la situation a échappé à tout le monde, aussi bien à l’Etat qu’à la population ! On assiste d’ailleurs à une confusion complète sur la responsabilité de chacun et ce, à tous les niveaux.

A Moroni, les patients parlent des établissements publics, comme s’il s’agissait de mouroirs déguisés. Les services d’urgence ne sont plus capables de prendre les malades en charge, sans les dépouiller…

Dépouiller, non ! Le système a fait qu’il doit y avoir une participation communautaire, même pour les premiers soins. Dans des circonstances extrêmes, en cas d’accidents sur la voie publique, par exemple, le patient, arrivé au service des urgences, sans rien, a des difficultés pour sa prise en charge. Car le service non plus n’a pas les moyens prévus, en pareille circonstance. D’où, soit un retard de prise en charge, soit un manque de prise en charge adéquate. Le personnel médical se retrouve démuni, malgré les compétences.

Dans ces établissements, l’opinion retient le personnel débordé, les malades en souffrance dans les couloirs, les dysfonctionnements au niveau décisionnel. 

Le manque de personnel qualifié, soit en quantité, soit en qualité, dans certains domaines, pose un gros souci, lors de la prise en charge des patients. Ce qui conduit aux dysfonctionnements relevés en cas d’urgence. 

L’absentéisme des médicaux est pointé du doigt ? 

C’est un vrai problème, au niveau de la prise en charge. On le caractérise par le manque de discipline. Aussi, on a tendance à voir les absents, en oubliant ceux qui sont assidus. Aucun encouragement pour ceux qui travaillent. N’en parlons pas, des sanctions contre ceux qui s’absentent. 

On accuse l’Etat, son irresponsabilité évidente, son absence de vision globale, son incapacité à gérer les situations immédiates. Votre avis ? 

Bien sûr, l’irresponsabilité est évidente. Aucun projet à vision lointaine n’est mis en place. On s’attarde à seulement gérer le quotidien. J’espère que le projet nouvel hôpital El-Maanrouf permettra de changer la donne. L’Etat doit s’impliquer davantage sur la politique hospitalière. Le corps médical s’occupera d’organiser les soins.

Est-ce qu’on peut imaginer que c’est le personnel qui ne répond pas aux attentes de la population ou aux exigences du système ?

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Les deux ! L’absentéisme, le manque de volonté du personnel, mais aussi l’amateurisme et l’opacité dans la gestion et la prise de décisions… empêchent d’atteindre les objectifs et les attentes de la population.

Vous êtes à la tête d’une expérience singulière, celle du centre de dialyse, initié à la base grâce à des fonds étrangers. Est-ce à dire que l’Etat comorien n’a pas les moyens de financer une telle mission ?

L’Etat comorien a les moyens, mais il manque surtout de la volonté. L’expérience du centre de dialyse nous a montré qu’on peut faire beaucoup de choses dans ce pays. Mais il fallait la volonté de quelques personnes, d’une équipe, avec l’appui des politiques, pour aboutir à quelque chose de sérieux. Pour ce cas précis, l’idée est venue d’une équipe comorienne, qui a élaboré un projet et qui est partie rechercher le financement à l’étranger. C’est ce qui nous a donné la latitude de mettre les choses en œuvre le projet, sans subir l’influence des politiques. Tout cela, dans le but d’aider le Comorien. Le jour où la politique primera sur le professionnalisme dans les décisions, un tel projet tombera à l’eau…

En même temps, les autorités sont en train de promettre la couverture sociale à tous. Un paradoxe…

La couverture médicale universelle est une bonne chose en soi. Mais il reste sa mise en place, son organisation et les moyens de son financement. Il faut surtout miser sur les aspects techniques et la rigueur, pour réussir ce projet. Ceci peut diminuer les difficultés de manque de moyens rencontrées par les professionnels de santé dans les hôpitaux et permettra également aux patients de recevoir les soins adéquats.

La crise de l’hôpital public profite au privé, alors qu’il s’agit bien souvent des mêmes personnels employés.

C’est là le résultat des dysfonctionnements du système. Car les deux, le public et le privé, sont toujours complémentaires. La réglementation du partenariat public-privé serait un moyen efficace dans l’amélioration de la prise en charge des patients dans les hôpitaux. Et surtout, pour éviter les désastres qu’on connait…

On parle de plus en plus d’un business de la guérison, qui arrange les médecins devenus chefs d’entreprise, en ouvrant leurs cliniques. Des cliniques, souvent improvisés, à défaut de moyens.

C’est le rôle de l’Inspection générale de la santé de règlementer tout cela. La loi concernant les établissements sanitaires privés doit être appliquée. Le désordre actuel dans le privé engendre une augmentation des transferts de patients – à un stade de mourant – vers El-Maaruf. Ceci doit cesser !

On a cru que la santé, prise en charge par les communautés de région ou de village, pouvaient générer une différence. On a l’impression que le pire est aussi à craindre de ce côté-là, non ?

C’est une conséquence du manque de professionnalisme et du choix des personnes, à qui la communauté confie la responsabilité des établissements périphériques. L’Etat reste absent du circuit administratif et de la gestion financière de ces structures. Aucun contrôle, aucune vision, aucune politique… Un laisser-aller total !

La plus grande avancée, saluée, ces dernières années, concerne le palu. Or certains médecins s’accordent à dire que l’expérience, menée à grands frais et à grande échelle par les chinois, pourrait avoir des dommages collatéraux sur le long terme, d’autant que le corps médical ne maîtrise pas toute la complexité de la démarche entreprise…

Malgré cette grande avancée, la dernière campagne menée à Ngazidja n’a pas eu l’effet escompté. Beaucoup de personnes n’ont pas pris le traitement de masse. Ce qui oblige à refaire l’opération. L’exemple mauricien montre que même si on arrive à éradiquer le paludisme, la surveillance doit rester permanente. A ce titre, la polémique sur le traitement de masse n’a pas raison d’être. Car elle n’est fondée sur aucune base technique…

Que pensez-vous de la crise vécue par le secteur pharmaceutique, aujourd’hui bouffée par la contrefaçon et le laisser-aller ?

C’est aussi l’une des conséquences des dysfonctionnements du système. La non-application de la loi sur l’ouverture des officines et le laisser-aller au niveau des frontières font que le Comorien fait face à un désastre. Espérons que la nouvelle Agence nationale des médicaments et des évacuations sanitaires jouera son rôle pour mettre de l’ordre dans tout cela.

Il fut un temps où le Comorien pouvait se fier aux médecines parallèles, anciennes, traditionnelles. Certaines pratiques, longtemps consacrées, ont laissé place à du charlatanisme, de nos jours. Est-ce dû selon vous à un problème de transmission des savoir-faire ?

Bien sûr ! Il y un problème de transmission des savoir-faire, et aussi de la naïveté de la part des Comoriens ! Des médicaments supposés traditionnels entrent dans le pays sans contrôle ni traçabilité. On assiste actuellement à une catastrophe sans précédent. Tous les jours, des intoxications extrêmes arrivent à l’hôpital. Parfois, on n’arrive pas à sauver les patients. Souvent, ce sont des jeunes, qui en périssent.

Vous prêtez serment dans votre métier. Mais la plupart de vos collègues médecins semblent ignorer le minimum de déontologie nécessaire à leur fonction. Une absence d’éthique effarante dans l’exercice de leur métier. A quoi l’attribuez-vous ?

Généralement, c’est le rôle de l’ordre national des médecins de veiller à l’éthique, avec le concours d’une supposée commission d’éthique sur la santé aux Comores, qui se complaît dans l’inaction.

Il est prévu de gros investissements dans le secteur par le régime Azali. Alors que le pays n’arrive pas à capitaliser sur l’existant, Bambao Mtsanga et les autres…

On a prévu de gros investissements dans le secteur, sans tenir compte du personnel qualifié pour y travailler, depuis le petit établissement jusqu’au grand centre. Chaque village, chaque région, veut construire son hôpital, sans penser au personnel. On assiste ainsi à une pollution des établissements sanitaires. Il est temps de réformer la carte sanitaire et de prévoir le personnel adéquat.

Propos recueillis par Mmadi Mihidjayi ©muzdalifahouse.com
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