La restitution de Mayotte à l’Union des Comores ? Une solution impossible au plan juridique sans l’accord des Mahorais

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Dans un premier volet d'un triptyque, nous avons présenté la thèse favorable aux Comoriens qui invoquent, à juste titre, les règles du ...

Dans un premier volet d'un triptyque, nous avons présenté la thèse favorable aux Comoriens qui invoquent, à juste titre, les règles du droit international public de la décolonisation forgées dans le cadre des Nations Unies depuis 1945. Dans le second volet de ce triptyque, nous présentons l'antithèse favorable aux Mahorais qui invoquent les règles du droit constitutionnel français de la Ve République qui remonte au 4 octobre 1958. 

La restitution de Mayotte à l’Union des Comores ? Une solution impossible au plan juridique sans l’accord des Mahorais

Par André ORAISON, Professeur de droit international public

Au sujet des évènements dramatiques survenus à Mayotte, nous avons déjà fait entendre une voix discordante dans une étude publiée par le JIR . La responsabilité d’une situation catastrophique qui s’aggrave dans « l’île hippocampe », année après année, incombe au seul Gouvernement de Paris qui a agi au mépris du droit international de la décolonisation. 

C’est en effet sur le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation que les Nations Unies considèrent les Comores comme un État composé d’Anjouan, de la Grande Comore, de Mayotte et de Mohéli. L’admission en leur sein le 12 novembre 1975 d’un État souverain composé de quatre îles confirme cette approche globaliste. De surcroît, l’admission du nouvel État est votée à l’unanimité par l’Assemblée générale de l’ONU par une Résolution 3385, la France ne participant pas au vote. Par la suite, la Résolution 31/4 est adoptée le 21 octobre 1976 par 102 voix contre une (celle de la France) et 28 abstentions : dans ce texte, l’organe plénier déclare, sans ambages, que l’occupation de Mayotte par la France « constitue une atteinte flagrante à l’unité nationale de l’État comorien ». 

Dès lors, comment sanctionner la violation par la France du droit international de la décolonisation ? Depuis le 6 juillet 1975, date de l’indépendance des Comores, il existe une solution juridique dans le cadre onusien. Elle figure dans la Résolution 49/18 que l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 28 novembre 1994 à une très large majorité : par 87 voix contre 2 (France et Monaco) et 38 abstentions. Après avoir rappelé que, conformément aux accords signés le 15 juin 1973 entre les Comores et la France, relatifs à l’accession des Comores à l’indépendance, « les résultats du référendum du 22 décembre 1974 devaient être considérés sur une base globale et non île par île », la Résolution 49/18 - la dernière en date, à ce jour, sur la question de Mayotte - prie « le Gouvernement français d’accélérer le processus de négociation avec le Gouvernement comorien en vue de rendre rapidement effectif le retour de l’île de Mayotte dans l’ensemble comorien ». 

Ainsi, la solution juridique logique consiste en une restitution de l’île de Mayotte à l’Union des Comores sans mise en œuvre du droit d’autodétermination, c’est-à-dire sans une nouvelle consultation de la communauté mahoraise. Cependant, la solution visant à une intégration forcée des Français de Mayotte dans l’État comorien indépendant est une vue de l’esprit pour deux raisons principales. 

D’abord, cette solution prise à New York dans le cadre onusien - sous la forme d’une recommandation - n’est pas obligatoire. Votée par l’Assemblée générale des Nations Unies, la recommandation est en effet un acte dépourvu de conséquences contraignantes. Sa caractéristique essentielle est de ne créer aucune obligation juridique à la charge de ses destinataires qui sont les États membres de l’Organisation mondiale. Par suite, ces États ne commettent aucune infraction et n’engagent pas leur responsabilité sur le plan international en ne la respectant pas. Autant dire, concrètement, que les recommandations adoptées chaque année - de 1976 à 1994 - par l’Assemblée générale de l’ONU à propos de l’avenir de Mayotte et de son statut ne lient pas juridiquement la France. 

Ensuite, l’intégration forcée des Mahorais dans l’Union des Comores est impossible au regard du droit constitutionnel français. Décidé par un traité franco-comorien, sans consultation directe et préalable des Mahorais, le rattachement de Mayotte aux Comores constituerait une méconnaissance manifeste de la Constitution voulue par le Général de GAULLE, le 4 octobre 1958. Cette décision conventionnelle serait de nature à entraîner des poursuites à l’encontre du chef de l’État et sa destitution pour violation de l’une des dispositions les plus importantes de la norme suprême de la Ve République. Faut-il rappeler que la Constitution indique - dans son article 5 - que le Président de la République est « le garant de l’indépendance nationale » et « de l’intégrité du territoire » ? De sa propre initiative, le chef de l’État ne peut donc jamais céder à n’importe quel autre État et pour quelque motif que ce soit, la moindre parcelle du territoire national, fût-elle modeste par sa superficie et sa population. C’est le cas de Mayotte qui est un territoire de 375 kilomètres carrés de superficie et peuplé par 250 000 habitants. 

Certes, des cessions territoriales peuvent toujours concerner la France pour des raisons d’ordre historique, juridique ou technique. Cependant, elles ne peuvent intervenir que dans le cadre d’une procédure rigoureuse qui est prévue par l’article 53 de sa Constitution. Ces cessions territoriales ne peuvent d’abord prospérer que par voie d’engagements internationaux signés à la suite de négociations diplomatiques, généralement longues, minutieuses et complexes. De plus, ces cessions impliquent toujours l’intervention préalable du Parlement comme le souligne l’article 53 de la Constitution qui est rédigé en des termes dépourvus de toute ambiguïté : « Les traités… qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi » (alinéa 1er). Ainsi, le Parlement français a toujours son mot à dire en cas de cession territoriale et l’on peut penser, a priori, qu’il ne sera jamais aisé pour le chef de l’État d’obtenir son consentement à la ratification d’une convention qui aurait pour effet de brader, sans raison impérieuse, une partie du territoire national. 

De surcroît, une condition supplémentaire majeure et préalable à l’intervention même du Pouvoir législatif, a été prévue par la Constitution, dans l’hypothèse où le territoire français faisant l’objet d’une cession territoriale est habité, ce qui est le cas pour Mayotte. Un recours aux populations intéressées par la voie la plus démocratique du « référendum local » - il s’agit ici d’une « consultation populaire » - doit impérativement être mis en œuvre, dans ce cas particulier, avant toute intervention du Législateur. L’article 53 de la Constitution reconnaît en effet à tous les Français - métropolitains ou ultramarins - une forme spécifique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et plus précisément, en l’espèce, un droit permanent à l’autodétermination et au refus de la sécession. Cet article se prononce en ce sens dans son alinéa 3, ainsi rédigé en des termes autant lapidaires que péremptoires : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ». 

Par la suite, cette garantie traditionnelle des populations locales a été renforcée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, relative à l’organisation décentralisée de la République. L’article additionnel 72-3 grave désormais dans le marbre de la Constitution le nom de toutes les collectivités territoriales françaises ultramarines, y compris celui de Mayotte. Au demeurant, pour lever toute ambiguïté, les Mahorais avaient déjà eu l’occasion de se prononcer, le dimanche 8 février 1976, sur leur volonté de rester Français ou de se rattacher aux Comores nouvellement indépendantes et les résultats avaient été sans appel puisqu’ils avaient opté pour le statu quo, à plus de 99 % des votants. 

Clamé haut et fort dès 1974, le slogan jamais démenti du Mouvement Populaire Mahorais (MPM) - « Nous voulons rester Français pour être libres » - et repris par l’ensemble de la population locale est toujours d’actualité en ce début de XXIe siècle comme le démontrent les événements les plus importants survenus dans leur île, depuis 1976. Faut-il ainsi rappeler que les Mahorais avaient le choix, le dimanche 29 mars 2009, entre le statut nouveau de « collectivité d’outre-mer » (COM) octroyé par la loi organique du 21 février 2007, portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, et le statut traditionnel de « département d’outre-mer » (DOM), âprement revendiqué depuis le 2 novembre 1958, et qu’ils ont approuvé massivement - à plus de 95 % des votants - la création d’une nouvelle collectivité territoriale française, appelée « Département de Mayotte » ? 

Après le vote d’une loi organique et d’une loi ordinaire par le Parlement et le renouvellement de son conseil général, l’île de Mayotte est ainsi devenue le jeudi 31 mars 2011 le cent-unième département français et le cinquième département d’outre-mer après la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. Pour être exhaustif dans cette étude, une ultime précision s’impose. Prise en application de la loi organique du 3 août 2009, la loi du 7 décembre 2010, relative au Département de Mayotte, confirme une nouvelle fois le droit immarcescible pour les Mahorais de décider de leur destin par la seule voie de la consultation populaire, sur le fondement de l’article 53 de la Constitution. Voici la rédaction laconique de l’article 4 de ce texte législatif : « Il (le Département de Mayotte) fait partie de la République et ne peut cesser d’y appartenir sans le consentement de sa population ». 

Ainsi, bien qu’elle soit cartésienne, la solution des Nations Unies qui vise à la restitution pure et simple de l’île de Mayotte à l’Union des Comores sans consultation préalable et directe de la population mahoraise a fort peu de chance de trouver un écho favorable du côté des autorités gouvernementales françaises pour des raisons qui sont autant juridiques que politiques. Nous avons présenté l'antithèse favorable aux Mahorais dans la presse réunionnaise et notamment dans "Le Journal de l’île de La Réunion"du mardi 9 août 2016 en page 14. 

Néanmoins, il n’en reste pas moins vrai que l’on doit - une nouvelle fois - condamner l’attitude du Gouvernement de Paris qui refuse obstinément en l’espèce, depuis 1975, de mettre en œuvre le principe cardinal du monisme avec primat du droit international public contemporain sur le droit constitutionnel français. 

La situation est-elle pour autant à jamais figée ? Rien n’est moins sûr. En dépit de la complexité de la question, notre réponse se veut plutôt optimiste. 

Pour mettre un terme à une situation de nature impérialiste et néocolonialiste flagrante qui subsiste dans la partie septentrionale du canal de Mozambique et qui est aujourd’hui celle de la France ; pour tenir compte de sa condamnation claire, répétée et unanime par la Communauté internationale dans son ensemble et notamment par les Nations Unies, l’Union africaine et la Ligue des États arabes, d’autre solutions d’ordre économique et institutionnel sont concevables pour faire cesser les « drames de la mer » qui résultent d’une immigration clandestine massive et tenter de rapprocher les stratégies aujourd’hui radicalement divergentes de la France et des Comores au sujet de Mayotte, l’une des quatre « îles de la Lune ». Nous verrons prochainement ces solutions dans le troisième volet de notre triptyque. 


Cher amis Comoriens et Mahorais, les désidératas des uns et des autres doivent être entendus dans l'intérêt général. Bonne lecture à tous. 
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