Plus de 200 morts, des dizaines d'écoles fermées et tout un pays saisi de panique. L'épidémie qui a frappé Madagascar l'an dern...
Plus de 200 morts, des dizaines d'écoles fermées et tout un pays saisi de panique. L'épidémie qui a frappé Madagascar l'an dernier a rappelé que la peste, que l'on pouvait croire enfouie à jamais dans les livres d'histoire, restait une menace immédiate.
Des volontaires de la Croix rouge à 30 km d'Antananarivo, Madagascar, le 16 octobre 2017 |
A la tête du service des maladies infectieuses d'un hôpital d'Antananarivo, le professeur Mamy Randria s'est trouvé aux avant-postes de la "guerre" contre la contagion.
De ce long "calvaire", il se souvient d'abord de l'inquiétude qui s'est emparée de ses troupes lorsqu'elles ont connu le nom de leur ennemie. "Ils étaient effrayés par la réputation de la peste. Ca tue très vite et c'est très contagieux", dit-il.
Une fois qu'il a réussi à rassurer puis à organiser son service pour riposter à la maladie, le médecin a dû composer avec une autre angoisse, celle de la population.
"Des gens avaient peur de venir à l'hôpital de crainte d'attraper la peste", poursuit le Pr Randria.
De nombreuses familles de victimes se sont aussi plaintes d'avoir été montrées du doigt, discriminées. Le soupçon n'a pas épargné les soignants. "Des médecins qui traitaient la peste ont été obligés par leur femme ou conjoint de faire chambre à part", insiste le chef de service. La peur, encore.
La peste n'est plus aujourd'hui en mesure d'éliminer un tiers d'une population, comme lors de l'épidémie qui a balayé l'Europe au XIVe siècle. Mais elle n'a pas disparu pour autant.
Elle reste endémique dans certains pays africains.
Ruée
A Madagascar, un des pays les plus pauvres de la planète, la bactérie Yersinia pestis, transportée par les rats et transmise à l'homme par leurs puces, réapparaît chaque hiver austral (avril-septembre). En moyenne, 300 à 600 cas sont recensés.
La saison 2017 a fait exception. Plus précoce, l'épidémie, d'ordinaire cantonnée aux campagnes, a infesté les villes. Les autorités ont dénombré 202 morts et 2.384 cas, dont une majorité de la version pulmonaire de la peste, la plus virulente.
L'annonce des premiers cas à Antananarivo ou à Tamatave (est) a causé un vent de panique. Dans la capitale, les habitants se sont rués sur les pharmacies en quête de "cache-bouche" (masques), d'antibiotiques ou de thermomètres.
Passé le premier choc, les autorités locales ont rapidement réagi, soutenues à bout de bras par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et les ONG humanitaires.
Le gouvernement a fermé écoles et universités pour désinfection, installé des barrages sanitaires aux portes des villes. Surtout, il a multiplié les messages d'information à la population, souvent incrédule face à cette calamité d'un autre siècle.
Ainsi cette mère d'Antananarivo, qui préfère taire son nom.
Sa fille cadette de 6 ans est morte pendant l'épidémie. Les autorités sanitaires ont attribué son décès à la peste mais elle refuse encore obstinément d'y croire.
"Ma fille était fatiguée après l'enterrement de son grand-père. Puis elle a eu une forte fièvre qui a causé sa mort à cause des retards dans le traitement", assure-t-elle, "mais le gouvernement a dit que c'était la peste pulmonaire et interdit qu'elle soit enterrée dans le tombeau familial comme le veut la tradition".
Leçons
La dernière vague de peste a ravivé la controverse sur des pratiques ancestrales accusées de la propager.
Celle du "retournement des morts" a concentré les critiques. La "famadihana" consiste à honorer ses ancêtres en exhumant leur dépouille et en les réenterrant dans des linceuls neufs. Un rite en contradiction avec l'hygiène la plus élémentaire.
Prudemment, les autorités malgaches ont mis la population en garde contre ces risques. Elles ont été largement ignorées.
"Cela fait 82 ans que j'assiste à des famadihana et je n'ai jamais connu personne qui a attrapé la peste après avoir touché un cadavre", assure une octogénaire de la capitale, Maximilienne Ranarivelo, habituée de ces cérémonies.
D'autres explications ont été avancées pour expliquer la persistance de la peste. La déforestation par exemple, qui pousserait les rongeurs porteurs de la maladie vers les ville, ou le manque criant d'infrastructures sanitaires de l'île.
"Madagascar peut faire disparaître à tout jamais les épidémies de peste grâce à des investissements stratégiques dans son système de santé", a rappelé récemment le directeur général de l'OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Plus qu'un improbable effort budgétaire, le Pr Randria espère que la récente épidémie achèvera de convaincre la population que la peste reste un danger. Contre toutes les croyances.
"Il ne faut pas écarter à la va-vite cette maladie pendant la saison pesteuse", dit-il, "mieux vaut un diagnostic erroné que passer à côté d'un cas de peste". AFP