Les Comoriens de Marseille, une communauté “pas très visible”

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Dans les quartiers de la cité Phocéenne, un habitant sur dix est d’origine comorienne. “Planète Marseille, enfants des Comores”, le documet...

Dans les quartiers de la cité Phocéenne, un habitant sur dix est d’origine comorienne. “Planète Marseille, enfants des Comores”, le documetnaire de Charlotte Penchenier diffusé en pleine nuit sur France Ô, met en lumière les difficultés d’une jeune génération tiraillée entre ses deux cultures.

Journaliste et réalisatrice de documentaires, Charlotte Penchenier signe Planète Marseille, enfants des Comores. Le portrait d’une ville et de quartiers populaires français où un habitant sur dix est originaire de l’archipel. Comment trouver sa place en France ? Et comment concilier attachement aux traditions ancestrales et plus grande liberté pour étudier ou choisir son partenaire ? Retour avec la réalisatrice sur un film attachant et sensible, à découvrir cette nuit à un horaire aussi tardif que honteux (3h15), ou en cession de rattrapage en replay sur France Ô.

D’où est née l’envie de filmer les Comoriens de Marseille?

Il y a une très forte communauté comorienne établie dans l’agglomération marseillaise, mais elle n’est pas très visible. Très peu de films lui ont été consacrés. Il existe bien un ou deux bouquins et quelques études, mais c’est tout. C’est ce manque, d’une part, et mon intérêt pour ces gens, d’autre part, qui m’ont poussée à réaliser ce film. J’ai eu la chance de rencontrer un artiste compositeur slammeur d’origine comorienne qui a épousé une de mes amies. Il m’a fait découvrir sa culture, à travers le récit de son arrivée en France à 8 ans, son enfance et les rapports parfois difficiles avec ses parents. Après avoir rompu un temps avec sa famille, il s’en est rapproché, tentant de comprendre son île natale. Petit à petit, au fil des repérages et de mes recherches, je me suis rendue compte qu’il s’agissait d’un parcours assez classique chez les Comoriens de France. J’en ai fait le fil rouge de mon documentaire.

“Dans la société comorienne, le groupe prime sur l’individu.”

Comment avez-vous convaincu les gens de participer au film?
La communauté comorienne de Marseille n’est pas très facile d’accès. Au bout du compte, j’ai surtout filmé des personnages de ma génération. J’ai 37 ans, et ceux que j’ai suivis ont entre 23 et 43 ans et ont grandi en France. Leurs parents ont été plus compliqués à approcher. Outre leur attachement à l’islam, ils maintiennent des traditions fortes et vivantes, et un attachement puissant au village. Dans la société comorienne, le groupe prime sur l’individu. Quoi que vous fassiez, vous engagez le groupe. Si vous déviez un tout petit peu, vous pouvez vite devenir une sorte de « paria » de la communauté, parce que vous n’avez pas respecté le « shewo » (l’honneur) du groupe. C’est compliqué à prendre en compte quand on vit dans une société aussi individualiste que la France. Les Comoriens que j’ai interrogés décrivent ce grand écart permanent entre une société qui privilégie l’épanouissement personnel et la réussite, et un pays natal où tous les actes sont dictés par les devoirs envers le groupe.

En quoi l’accomplissement du grand mariage traditionnel divise-t-elle jeunes et anciens?

Les jeunes Franco-Comoriens ont tous grandi avec des images festives de grand mariage (« ada », prononcé « anda ») qui défilent à la maison, non plus sur les VHS de la génération précédente, mais sur des DVD ou des vidéos Youtube. Lors de ces fêtes, on assiste à une surenchère de danses, de costumes, de nourriture et d’argent ; on agite des billets pendant la cérémonie. Mais ceux qui ont la chance de se rendre là-bas font le constat d’un décalage énorme. Ils se rendent compte que la majorité des habitants sont très pauvres, malgré tout l’argent que leurs familles envoient tous les mois. Encore aujourd’hui, l’ada reste un pilier économique de la société comorienne.

C’est un système complexe de retraite et d’assurance sociale pour les personnes âgées ; un rituel obligatoire et un véritable « ascenseur social » pour « devenir quelqu’un ». A la base, il permettait la redistribution des richesses au sein du groupe. Mais de nos jours, il y a une inflation constante des prix et des tarifs et les gens s’endettent et se ruinent pour cette fête. Cela en devient absurde. Les jeunes Français d’origine comorienne sont critiques et rejettent en bloc cette tradition en affirmant « On ne fera pas le grand mariage. On ne veut pas dépenser autant. »

“De toute façon, le village finit par te rattraper à un moment donné, pour te marier ou lorsque tu décèdes.” — un jeune papa franco-comorien

L’un de vos personnages, père de trois jeunes enfants, se consacre à la communauté implantée à Marseille…

Des papas comme lui, très engagés dans l’éducation de leurs enfants, j’en ai rencontrés plusieurs. Il n’est pas en rupture avec son village. « De toute façon, le village finit par te rattraper à un moment donné, pour te marier ou lorsque tu décèdes », m’a-t-il confié. Mais il préfère s’investir dans des actions locales à destination des jeunes d’ici : organiser des journées multi-sport, emmener les gamins découvrir les calanques de Marseille, ou encadrer la remise des diplômes en présence des parents pour valoriser la réussite. Cet accompagnement des jeunes est essentiel dans un contexte de misère sociale, pour des familles qui vivent dans des quartiers délabrés, minés par la délinquance.

Quatre projections ont eu lieu à Marseille. Quel accueil le film a-t-il reçu?

Les jeunes que j’ai suivis sont contents. Ils sont tous venus au moins à une des projections et ils m’ont dit se reconnaître dans le documentaire qui donne d’eux une image positive. J’ai également senti une satisfaction chez les acteurs socio-culturels (profs, infirmiers, éducateurs…), celle de mieux connaître les Comoriens et de comprendre comment fonctionnent les schémas familiaux de cette communauté. De façon générale, j’ai eu des retours très touchants : « Le film reflète ce que l’on peut vivre, il y a un effet miroir », « merci d’avoir fait entrer une caméra chez nous. C’est très rare et cela fait du bien »… Je pense que ce film parle davantage aux jeunes qu’à leurs parents. Je dois admettre mon échec : on n’a pas réussi à les filmer, ni même à les faire réagir lors des débats en fin de projection. Je ne sais pas ce qu’ils en pensent : la seule évocation du grand mariage peut être perçue comme une remise en cause. Emmanuelle Skyvington - ©telerama.fr - photo: Des jeunes Franco-Comoriens répètent une pièce de théâtre s’inspirant de leur vie. © Charlotte Penchenier
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