À la fois compromettant et passionnant, le métier de journaliste constitue un pilier incontestable de la démocratie. Il participe de l'...
À la fois compromettant et passionnant, le métier de journaliste constitue un pilier incontestable de la démocratie. Il participe de l'animation de la vie démocratique tout comme de la vie tout simplement. Grâce au travail journalistique, on s'informe, on apprend et on se divertit. L'évolution du métier et le rôle qu'il occupe dans nos sociétés font que certains osent aujourd'hui le qualifier de quatrième pouvoir.
Or, on le sait pertinemment qu'un pouvoir peut autant construire que détruire. Le pouvoir médiatique repose sur La liberté de presse, qui est un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques. Elle prend sa source sur la liberté d'opinion et la liberté d'expression. La question qu'on se pose est de savoir si au nom de cette liberté on peut tout dire ou écrire. Elle se pose avec une certaine acuité si bien que nous vivons en France comme dans le monde un contexte particulier où d'aucuns tirent les marrons du feu et d'autres attisent les tensions. Alors que le bon sens et tout simplement le sens de la responsabilité auraient voulu qu'on adopte des gestes et comportements plutôt apaisants et rassurants.
Pour revenir à la question centrale, j'y répondrais par l’affirmatif à priori. En effet, L'adage disait que tout ce qui n'est pas interdit est permis. Sur cette base, Charlie n'a rien à se reprocher. D'abord parce que le blasphème n'a plus droit de cité et l'humoristique et le satirique sont admis.
Nonobstant, il convient de rappeler que l'exercice du journalisme n'échappe guère à la loi. Aussi, il est régi par un code de déontologie ; tout comme la vie en société nous invite à une certaine modération dont la finalité serait de préserver un minimum de vivre ensemble. Le droit par définition y trouve sa raison d'être. Ce qui a permis, selon la conception philosophique, le passage de l'état de nature à l'état de droit. Dès lors, ce qui est interdit par la loi tombe dans le juridique et par la morale dans l'éthique.
Justement, la récente publication de Charlie Hebdo sur l'affaire Tariq Ramadan interpelle. Juridiquement, tout citoyen accusé est protégé en droit français par le sacro-saint principe de la présomption d'innocence. Il va de soi que Tariq comme le premier des français n'est au dessus des lois républicaines. Mais c'est une autre chose que de se demander pourquoi le célèbre journal satirique a voulu lier un tel acte, que l'islam a en abomination, à cette religion honorable : dessin caricatural, qui heurte les consciences, est-ce à dessein ? Pire, le journal titre ainsi sa publication : « Je suis le 6ème pilier de l'islam ».
L'allusion faite me semble hors de propos, source de polémique et d'amalgame, sachant que l'islam n'a que 5 piliers. L'Islam comme toute autre religion bannit de tels comportements. Le croyant fautif engage ainsi sa propre responsabilité individuelle et point celle de toute une religion. Je ne vois donc pas la pertinence à lier l'acte à la religion. À moins que le journal aurait pris l'option systématique ou systémique de juger sur la base de l'opinion philosophique ou religieuse de chaque citoyen. Charlie Hebdo se serait-il alors fait une obsession sur l'Islam ? D'autant que des pratiques déviantes au sein de certains monastères n'ont jamais fait de sa part l'objet d'une telle manchette. J'en dirais autant pour les accusations graves qui pèsent aujourd'hui sur la mythique star d'Hollywood, Harvey Weinstein.
Une chose est certaine. Je ne pense pas que les Musulmans aient apprécié le fait de voir leur religion être associée à un acte aussi ignoble. Pour autant, nous respectons la liberté d'expression autant qu'il est nécessaire de respecter notre religion. De même, nous respections les lois de la République et le triptyque qui constitue le socle du vivre ensemble : liberté, égalité et fraternité. Mais « s'il est une valeur à respecter chez autrui, c'est bien sa religion. La foi d'un être humain est sans doute l'attachement le plus fort qui soit ». J'emprunte ici à souhait les propos éloquents de l'historien et essayiste François Huguenin.
Nous disons également que rien ne justifie les menaces que certains auraient proférées à l'encontre du journal. J'en appellerais même ceux-là à réfléchir sur ces recommandations du Saint Coran, S41, V34 : « La bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Repousse le mal par ce qui est meilleur; et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux ».
Somme toute, le vivre ensemble appelle à chaque citoyen à plus de responsabilité. A fortiori le journaliste, dont le pouvoir peut nuire à autrui. La cohésion et la paix sont de tous nos biens un patrimoine commun à protéger. En revanche, le non-respect des croyances est une manière de dresser les uns contre les autres. Le respect mutuel et la fraternité sont incontestablement un des socles de la paix et du vivre ensemble. Ceci n'enlève en rien, au moment venu, de condamner l'homme avec ses faiblesses si la justice le juge ainsi. Et quand bien même il y aurait condamnation, l'islam serait toujours hors de cause ! Car ne n'est qu'une religion qui, à l'instar de toutes les autres, n'appelle qu'au bien. Ce que les fidèles en font n'engage qu'eux.
Mr Ahamed MOHAMED (Takou), Musulman Franco-comorien