Pour ou contre la présidence tournante en Union des Comores ?
En son article 13, la constitution du 23 décembre 2001, amendée le 17 mai 2009, a institué une présidence tournante.
Ce système a permis de mettre fin à la plus grave crise institutionnelle qu’a connu notre pays depuis son accession à l’indépendance, d’assurer une relative stabilité politique par le jeu de l’alternance et de faire naitre le sentiment d’équité, en donner la possibilité à chaque Ile autonome de présider à la destinée du pays.
Pourquoi donc, vouloir remettre en cause un tel système ?
Parce qu’au delà de ses effets pervers sur la démultiplication des institutions, entrainant une hausse exceptionnelle des charges de l’Etat, la présidence tournante est par son esprit et sa pratique, incompatible avec deux principes fondamentaux : l’unité nationale et la cohésion sociale.
Le séparatisme qui a failli compromettre à jamais l’existence de notre pays, trouve son origine sur l’exaspération d’une population lassée par l’extrême pauvreté et le sentiment d’hégémonie d’un pouvoir hyper centralisé à Moroni. L’avènement de la présidence tournante n’a ni réduit le niveau de pauvreté, ni stopper la centralisation excessive. Au contraire, tous les indicateurs macro-économiques confirment que la pauvreté ne cesse d’augmenter et en même temps, une colère sourde s’installe dans chaque Ile.
Alors qu’elle est censée être une solution aux velléités séparatistes, la tournante ne fait qu’alimenter ce fléau et renforcer le chauvinisme insulaire. La colère a laissé place à la haine, et pendant ce temps, les séparatistes de tous bords se frottent les mains en attendant la prochaine étape.
Pourquoi la présidence tournante est incompatible avec l’unité nationale et la cohésion sociale ?
D’abord parce que le président de la république est le symbole de l’unité nationale, conformément à l’article 12 de la constitution. Or, l’instauration d’une élection primaire réservée exclusivement aux électeurs de l’Ile où échoit la présidence, fait du président élu, le représentant de son Ile, avant d’être le chef de l’Etat. Il est amené par la force de choses, à accorder la priorité aux intérêts particuliers de l‘Ile dont il est originaire, avant l’intérêt supérieur de la nation.
Ensuite, parce que ce système oblige chaque citoyen comorien à justifier son origine insulaire, parfois impossible à identifier. Certains s’interrogent, sur le critère à retenir, entre le droit du sol et le droit du sang. La loi fondamentale en vigueur, de l’Ile autonome d’Anjouan, en son article 5, ne permet même pas à un citoyen comorien, né des parents issus des autres Iles, de devenir anjouanais.
Enfin, cette tournante, empêche le peuple comorien de choisir le meilleur d’entre nous, à moins d’avoir la chance d’être né au bon moment et se trouver au bon endroit, lorsque la caravane passe. Comment alors, peut-on consolider l’unité d’un pays dans un système fondé sur le repli sur soi et le rejet de l’autre.
Pourtant, nous savons pertinemment que pour un petit pays comme le nôtre, aux potentialités très limitées, l’unité et la cohésion constituent des vecteurs indispensables pour assoir les bases d’un développement socio-économique viable.
Que faire pour sortir de cette impasse ?
Nous devons reconnaitre que l’insularité n’est pas l’ennemi de l’unité nationale et que la barrière maritime ne constitue pas un obstacle à la cohésion sociale. Il faut surtout, accepter de lever les obstacles qui nous font tourner en rond. Car à force de nier l’existence des maux qui nous rongent ou de vouloir les reporter, nous ne contribuons qu’à les aggraver.
La suppression de la présidence tournante n’est pas la solution à tous nos problèmes, mais elle est une condition pour sortir de l’insularité à outrance et permettre au peuple comorien de choisir librement, l’homme ou la femme qui doit être avant tout, le garant de l’unité. L’argument qui consiste à faire croire que sa suppression empêcherait de facto à un natif de l’Ile autonome de Mohéli d’accéder à la magistrature suprême, est sans fondement.
Comment peut-on, par avance, sous-estimé la capacité d’un individu à convaincre la majorité de son peuple de voter pour lui, au prétexte qu’il est né à Mohéli ?
Comment peut-on laisser penser que les électeurs anjouanais et grand comoriens votent comme des moutons ?
Contrairement aux idées reçues, le problème ne se situe pas au niveau de la répartition des postes à responsabilité. Il suffit de regarder cette répartition, Ile par Ile, pour se rendre compte. Le problème se situe plutôt sur la concentration excessive du pouvoir central et sur une autonomie des iles sans pouvoir.
La concentration de tous les ministères, les chancelleries, les sociétés d’Etat et les institutions financières à Moroni, dans un pays insulaire, crée un déséquilibre qui empêche les autres Iles de respirer. Or, l’unité et la cohésion ne se décrètent pas. Elles résultent d’un ensemble d’actions et d’une volonté politique. Une déconcentration équilibrée du pouvoir, permettrait à chaque Ile d’amorcer son propre développement économique, tout en renforçant la cohésion par le mouvement de circulations de la population. La décentralisation réelle et effective, permettrait à chaque Ile de se prendre en charge.
Comment sortir de la présidence tournante ?
Certains militent pour une suppression immédiate. Cette solution serait hâtive et hasardeuse. Elle risquerait en plus, de ressusciter les vieux démons et ferait renaitre un sentiment d’injustice entre les Iles. La solution la plus pragmatique est celle d’une suppression à l’horizon 2026, après le tour de Mohéli, si d’ici là, l’Ile comorienne de Mayotte reste sous administration française.
Paris, le 4 septembre 2017
Ben Mohamed