Le président français a maintenu, contre l'avis de sa ministre de la justice, sa proposition de déchéance de la nationalité pour les bi...
Le président français a maintenu, contre l'avis de sa ministre de la justice, sa proposition de déchéance de la nationalité pour les binationaux coupables ou complices d'actes de terrorisme. Une partie de la gauche lui reproche d'avoir déjà «perdu son âme»
Le président-protecteur a de nouveau laissé place, en France, au président-gaffeur. En décidant de maintenir mercredi la proposition de déchéance de nationalité pour les coupables ou complices d'acte de terrorisme dans son projet de réforme de la constitution, François Hollande se retrouve empêtré dans le dilemne hérité des attentats du 13 novembre et des dernières élections régionales marquées par la nette progression du Front National: soit tenir bon sur un discours sécuritaire, au risque de se mettre à dos une bonne partie de son électorat de gauche, soit chercher des formules de compromis avec sa majorité, au risque de prêter le flanc à ceux qui lui reprochent d'être «mou», et de ne pas être le «chef de guerre» dont la France menacée a besoin.
Christiane Taubira aurait-elle tenté de forcer la main à François Hollande?
La méthode Hollande, surtout, est à nouveau en cause. Comment expliquer que le chef de l'Etat français propose lui-même, devant le parlement réuni en congrès le 16 novembre, cette mesure très symbolique de déchéance de nationalité; que sa ministre de la justice Christiane Taubira - au coeur de ce dossier - l'enterre publiquement ces jours-ci lors de son voyage officiel en Algérie; que la proposition controversée réapparaisse mercredi dans les annonces faites par le premier ministre Manuel Valls, connu, lui, pour être un adepte des méthodes musclées? Le Temps est, comme la plupart des quotidiens, tombé dans le panneau, laissant entendre l'abandon de la déchéance de nationalité dans son édition de mercredi. Dont acte. Une erreur qui en dit long, cela dit, sur les fractures au sein du gouvernement français, et sur l'autorité contestée de François Hollande, à qui sa Garde des Sceaux opposée à la mesure semble avoir tenté de forcer la main.
Qu'en déduire, alors que l'Assemblée nationale et le Sénat devront voter en début d'année un même texte, puis l'approuver à la majorité des 3/5ème en congrès, pour que la réforme de la constitution devienne effective et que la déchéance de nationalité passe la rampe?
La déchéance de nationalité, vieille antienne de la droite
D'abord que la politique tactique a complètement repris ses droits, un mois et demi après les attentats du 13 novembre et deux semaines avant le premier anniversaire des tueries de Charlie Hebdo et de l'Hypercacher, survenues le 7 et 9 janvier 2015.
La proposition de déchoir de leur nationalité française les coupables d'actes terroristes nés en France (la possibilité existe déjà pour les naturalisés) est une vieille antienne de la droite, dont les voix seront nécessaires pour réviser la loi fondamentale. Elle cadre aussi avec le personnage de président-protecteur que François Hollande, toujours plombé par une impopularité record, tente d'incarner alors que les forces françaises interviennent au Mali, dans le Sahel, en Centrafrique et - via des frappes aériennes - en Syrie et en Irak. Elle est considérée comme un "marqueur d'autorité", alors que l'on évoque de possibles frappes aériennes françaises en Libye, toujours contre l'Etat islamique. L'objectif est clairement d'afficher la détermination de la nation française à exclure les ressortissants qui se rebellent violemment contre elle.
Avec cette mesure, François Hollande aurait-il perdu son âme?
L'autre enseignement est qu'une fois encore, le curseur est placé en France sur des symboles plus que sur des mesures effectives. La ministre de la justice Christiane Taubira, cible de la droite qui dénonce régulièrement son laxisme, n'a pas tort en s'opposant à une mesure en réalité difficilement applicable, vus les recours auprès de la Cour de justice européenne, et le refus probable des autres pays d'origine des binationaux concernés de recevoir ces derniers. Pire: la menace de déchéance de nationalité est justement ce que recherchent les apprentis-terroristes disent certains experts, car elle illustre l'état de guerre dans l'hexagone, et les fractures entre communautés qu'ils veulent attiser et instaurer pour mieux les exploiter.
L'ancien juge financière et candidate écologiste Eva Joly, bien connue de la Suisse, a donné le ton en accusant François Hollande d'avoir «perdu son âme». Dans une France anxiogène, toujours propice à s'enflammer pour les combats idéologiques, la déchéance de nationalité ressemble, quoi qu'on en pense, à l'étincelle qui pourrait rallumer un mauvais incendie. à un an et demi des élections présidentielles de mai 2017.
À propos de l'auteur
Richard Werly
Correspondant du Temps à Paris. Avant cela à Tokyo, Bruxelles, Bangkok