Comment fait-on durer l'amour pour la vie ?

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A l'heure où une union sur deux se termine par un divorce, défendre le mariage relève presque de la provocation... Bravache, Denis Morea...

A l'heure où une union sur deux se termine par un divorce, défendre le mariage relève presque de la provocation... Bravache, Denis Moreau a relevé le gant ! Dans son livre "Pour la vie ? Court traité du mariage et des séparations", le philosophe met le doigt sur les illusions dont nous nous berçons et qui font que, fatalement, nous nous désaimons. Si vous voulez que ça dure, y'a pas de secret, plutôt deux ou trois... qui sont ci-dessous !


Barbara Lambert : Vous le rappelez en préambule : la moitié des mariages se termine par un divorce. Pour expliquer l’envolée des divorces, nous avons plusieurs facteurs explicatifs : l’émergence du mariage d’amour, l’allongement de la durée de la vie, la montée de l’individualisme, le travail salarié des femmes… qui font, du coup, que nous plaçons "la barre très haut", dites-vous. Jamais auparavant, nous avions eu ce degré d’exigence…

 

Denis Moreau : Il y a un ensemble de facteurs explicatifs, en effet, qui sont pour la plupart et à mes yeux des progrès : le travail salarié des femmes est une bonne chose, l’attention portée à son épanouissement personnel, le fait qu’on se marie désormais par amour le sont aussi. Mais la contrepartie de ces progrès, c’est une fragilisation du lien conjugal, sans doute par élévation des attentes que l’on place en lui.  

Nous en demandons beaucoup plus au mariage que nos ancêtres. Nous avons une conception un peu idéalisée du mariage, sans toujours voir qu’il constitue désormais une sorte de défi, avec cette dimension de risque qu’il y a dans les défis…


Vous dites effectivement que le mariage est un défi et... que la seule garantie de ce défi tient dans la fermeté de notre décision !


Ce n’est pas la seule, heureusement (rires). D’abord, je tiens à préciser que je ne suis pas dans l’optique de ces gens qui pensent qu’il ne faut jamais se séparer…


Vous qui avez fait un livre pour défendre le mariage, quand considérez-vous que la séparation est une "chose bonne" ?


DM : Je ne sais pas s’il est « bon » de se séparer, au moins au sens où la séparation signifie et entérine, en général, l’échec d’un projet commun. Il faut se séparer quand c’est devenu intenable. Quand c’est devenu toxique pour l’un, ou l’autre, ou les deux. Mais il faut que ce soit devenu vraiment toxique, sur une longue période. Il est évident qu’une femme que son mari bat régulièrement doit s’en aller. Je ne suis pas de ces gens qui refusent toute séparation. Après… en théologie, on dit que la principale arme du diable, c’est le découragement. Je fais partie des gens qui pensent que, parfois, on se décourage un peu vite. Je parle d’expérience. Dans ma vie de couple, j’ai traversé des périodes de découragement, dont une vraiment difficile. C’est là que j’ai éprouvé la force de la constance dans la résolution.


Vous dites qu’il ne faut pas prendre une grande résolution, mais faire des choix modestes et répétés…


Une décision prise une fois pour toutes est une décision que le temps abîme, étiole. Une décision efficace est une décision qui se vit toujours au présent, et qu’on réitère. Le mariage, c’est la décision prise de continuer à évoluer ensemble, autant que possible de façon synchrone. Et cela, il faut le redécider tous les jours. Je suis toujours assez surpris de voir à quel point continue de prospérer cette idée qu’un engagement pris une fois pour toutes doit nécessairement et naturellement durer, sans efforts, sans travail pour produire de la constance. Il y a une dimension volontaire ou volontariste de l’amour qui dure. Quand les gens veulent courir un marathon, ils font des efforts, s’entraînent beaucoup… Pourquoi cela serait-il différent pour l’amour ? Là aussi, il faut évidemment des efforts, de la réflexion… Mais en fait, dès qu’il est question d’amour, les gens se mettent à raconter un peu n’importe quoi, c’est bizarre…


Vous revenez en effet sur plusieurs idées reçues comme, par exemple, celle selon laquelle l’amour durerait trois ans, ce que certains scientifiques expliquent d’ailleurs par des phénomènes chimiques…


La chimie peut jouer son rôle, nous sommes des mammifères supérieurs, après tout (rires) ! Il faut pourtant noter qu’on n’a pas attendu Frédéric Beigbeder pour découvrir que "l’amour dure trois ans". Comme je le rappelle, selon la légende, le philtre d’amour de Tristan et Yseult agit trois ans, lui aussi. Mais cette période correspond en fait à la durée de la passion amoureuse. Or toutes les histoires d’amour ne commencent pas forcément par une période de passion. Je me méfie du discours normatif qui fait de la passion une étape nécessaire, incontournable.

Vous dites en même temps que la passion peut être "le premier étage de la fusée"…

Je crois, oui, que la passion peut-être le propulseur de la fusée conjugale, mais sans en faire une obligation. On peut être très amoureux sans être passé par la case "amour fou". Il faut reconnaître que la passion est un état un peu neuneu…


Pas désagréable…

C’est vrai, mais cela ne rend pas les gens extrêmement lucides (rires). Il est bien évident que l’amour évolue. C’est une réalité qui change. L’amour, c’est à la fois l’eros, l’amour physique, l’agapé, le don de soi, et la philia, l’amitié dans tout ce que cela suppose de bienveillance, d’indulgence, de compréhension réciproques…

Il faut les trois pour faire le "bon mariage" ?

Il ne faut pas, à nouveau, verser dans le normatif. L’amour, tel que je l’ai expérimenté, et une fois passés les feux de la passion, il me semble en effet que c’est un composé de ces trois éléments-là, mais dans des proportions variables. Notre société dit tout le temps qu’elle ne fait pas de morale, mais elle en fait en permanence. Pour prendre un exemple, un couple qui n’aurait pas de relations sexuelles est considéré comme anormal dans notre société. Moi, cela ne me choque pas, je crois que cela existe, même si l’eros me paraît essentiel - personnellement, je ne vois pas comment je pourrais m’en passer. Je serais plus interrogatif devant un couple qui ne pratiquerait pas du tout le don de soi. Je me souviens de ce film, « A la merveille » de Terence Malick. A un moment, on entend une voix off qui dit : « Tu ne vas pas épouser cette femme parce qu’elle est merveilleuse, mais pour la rendre merveilleuse ».

Vous le soulignez : il y a quelque chose de créatif dans l’amour, et donc, le mariage…

Si ça se passe bien, je pense effectivement que c’est un lieu où on s’améliore réciproquement. On acquiert et fait acquérir à l’autre des vertus morales, petites ou plus grandes, comme la patience, l’attention, la générosité, l’indulgence, etc. Par exemple, moi, je me suis découvert capable de pardonner. Avant d’être marié, je n’avais jamais pardonné vraiment. Ou bien j’étais indifférent, et je pardonnais, mais seulement des pécadilles. Ou bien j’étais vraiment atteint, et je ne pardonnais pas.

Le secret du bon mariage, dites-vous, c’est d’arriver à trouver une personne qui nous fait du bien…

C’est une idée tirée de Spinoza. Cela dit, trouver une personne qui nous fait du bien, cela ne veut pas dire trouver LA personne qui nous fait du bien.

Vous ne croyez pas en effet aux êtres destinés ou prédestinés l’un à l’autre…

Je crois que l’amour qui dure est un « hasard qu’on transforme en destin par un choix continu » (la formule est de Paul Ricoeur). Des femmes avec qui j’ai envisagé de faire ma vie quand j’étais jeune, j’en ai croisé pas mal. Je peux dire que j’en croise encore. Il y a beaucoup de gens bien, dans le monde (rires) ! Mais avec son consentement, j’ai choisi une de ces femmes. Et notre projet commun est désormais de nous faire du bien, pas seulement du petit bien, le soir…, mais aussi de nous aider à bien faire notre travail d’êtres humains, à développer ce qu’il y a de bon en nous, à nous appliquer à devenir « rayonnants », car c’est évidemment mieux si le couple profite aussi à son entourage.

Vous insistez beaucoup, dans votre livre, sur l’importance de l’environnement dans la réussite d’un mariage…

Il faut savoir en effet s’entourer. Un des problèmes de la vie moderne, c’est qu’elle pousse à l’individualisme et à la solitude. Je crois beaucoup à l’efficace des communautés. Pour bien vivre en couple, il faut être plus de deux. Par exemple, être entouré d’amis qui encouragent, qui sont prêts à vous aider dans les moments difficiles, est extrêmement important. Je constate qu’aujourd’hui, la plupart des gens n’ont pas ce recours. L’idée à la mode est qu’il faut être « la cause de soi » : il faut se suffire à soi-même. C’est une idée fausse. Nous sommes des êtres de relation : s’auto-suffire, c’est s’engager dans un système de destruction.

Parmi les idées fausses sur lesquelles vous revenez, il y a celle selon laquelle on pourrait "refaire sa vie"…

DM : Cette expression est assez récente : elle a vingt, vingt-cinq ans. Par définition, le passé est toujours là, il fait partie de nous. On ne refait pas sa vie, on la prolonge, on la réoriente. L’idée d’une réfection participe de ce fantasme de toute-puissance qui a cours aujourd’hui.

Le cœur de votre thèse, c’est qu’on a tendance à reporter l’échec de son mariage sur une fatalité, sur une cause extérieure, alors que la cause est en nous : nous sommes responsables, dites-vous…

Plus ça va, plus je suis convaincu qu’il faut s’inscrire contre le discours de la résignation. Quand on dit qu’un mariage sur deux se termine par un divorce, il ne faut pas oublier qu’il y en a un sur deux qui marche – enfin, pour ce qu’on en sait, parce qu’il existe aussi des enfers conjugaux. Il faut redire que c’est possible et qu’il existe des gens que le mariage rend heureux. Il suffit de voir certains vieux couples… ce sont des gens qui ont vraiment réussi à "faire l’amour"au sens fort de l’expression, c’est-à-dire qu’ils l’ont tissé, fabriqué au fil des ans.

Ce sont des gens qui ont réussi à vaincre "le diable en nous", dites-vous. Sacrée expression !

Ce mot de "diable" ne passe pas, je m’en rends bien compte.

C’est vrai que c’est un peu gros à avaler…

Il faut oublier toutes ces représentations mythologiques du Diable avec ses cornes, ses pieds fourchus, tout ce qu’on a pu voir aussi dans les films d’exorcisme ou de possession. Etymologiquement, le diable, c’est ce qui divise, ce qui apporte la division. Or, de la division, il y en a, dans le couple ! Si le diable est celui qui apporte la division, son existence me paraît quasi incontestable. En tant que philosophe, je ne peux pas aller plus loin, je constate simplement l’existence de cette puissance de division. Savoir si elle est en nous ou hors de nous… ? Je dirais qu’elle est les deux. Dans notre monde moderne, nous avons un peu tendance à nous déculpabiliser à bon compte. Quand nous parlons du mal aujourd’hui, c’est toujours pour désigner des autres et sous des formes qui ne nous concernent pas vraiment (le nazi, le serial-killer…), jamais pour parler du mal que nous pouvons commettre, nous.

"Nous ne sommes pas des anges", dites-vous…

Non, nous ne sommes pas des anges. La pulsion de mort, ça existe aussi… Il faut en tenir compte, ne pas être naïf : il y a en nous des forces un peu ténébreuses. Après, on peut les appeler comme on veut. On peut choisir le terme de pulsions, par exemple, qu’il faut apprendre à domestiquer. Les auteurs anciens parlaient de « démons », qu’il faut combattre.

Est-ce que vous êtes sérieux quand vous parlez de la responsabilité de l’Etat, dans les années 70, qui, voyant les chiffres du divorce s’envoler, aurait dû s’en inquiéter, créer, par exemple, des assistants conjugaux, pour aider les mariés en difficulté ?

Je ne dis pas cela sur un mode prescriptif. Mais on peut imaginer un monde où cela se serait passé de cette façon. Ce que je constate, c’est que cela n’a pas été considéré comme un problème appelant une réponse collective. La puissance publique n’a pas considéré qu’il y avait là quelque chose de digne d’intérêt, ou de problématique. Et pourtant, elle intervient beaucoup dans la vie des gens – et souvent, d’ailleurs, à bon escient. Je fais partie des défenseurs de l’Etat-providence – j’aime beaucoup d’ailleurs cette expression. Dans ce cas précis, l’Etat-providence a considéré qu’il n’y avait rien à faire. Un philosophe, dans la définition qu’en donne Platon, est celui qui est capable de s’étonner. Je trouve, de fait, cela « étonnant ». Pourquoi on n’a pas tenté d’aider les gens pris dans cette sorte de maëlström conjugal ? Cette augmentation des divorces est quand même un phénomène de masse, brutal, et qui marquera l’histoire de la fin du XXe et du début du XXIe siècle. Il a profondément marqué ma génération.

Vous le dites à plusieurs reprises. Pourquoi votre génération, en particulier ?

Le divorce par consentement mutuel a été créé au milieu des années 70. Il y a eu une sorte de facilitation du divorce, à partir de là. On voit la logique : puisqu’il y a plus de divorces, autant faire en sorte qu’ils se déroulent le plus simplement possible. Mais, du coup, on a accompagné le mouvement. Je ne dis pas qu’il aurait fallu rendre le divorce impossible, bien entendu, mais il aurait peut-être fallu l’accompagner autrement.

Vous dites quand même qu’il aurait fallu alourdir la procédure plutôt que l’alléger…

Je ne dis pas que ç’aurait été souhaitable, je dis qu’on aurait pu l’envisager.
Après, c’est quand même l’intérêt bien compris de l’Etat et de la société d’avoir des couples stables, formés de gens heureux, qui font des enfants, dans de bonnes conditions…

Mais est-ce qu’il est de l’intérêt de l’Etat de favoriser le divorce ? On peut se poser la question quand on vous lit. Vous dites en effet que si les divorces ont tellement augmenté, c’est aussi par appât du gain, parce que c’est bon pour le business…

Là, ce n’est pas l’Etat, le responsable, c’est le capitalisme déchaîné. Même si ça n’est pas très original, je vais donc dire du mal du capitalisme (rires). Il y a un business du mariage. Dans « Ouest-France », je lisais l’autre jour que le mariage, c’est 5 milliards d’euros par an – et il n’était question que des festivités. Des sommes considérables sont en jeu. Il faut préciser que l’enjeu du business, ce n’est pas le mariage comme état de vie, mais le mariage en tant qu’événement. Il y a également un business du divorce. Des gens en vivent : des avocats, des organisateurs de salons, des détectives, des coachs… Et puis, quand un couple divorce, on est obligé de se racheter des choses – il y a d’ailleurs des listes de divorce. Cela fait marcher le petit commerce. Mais cela plonge aussi certains dans des difficultés financières réelles.

Vous observez que ce business du mariage, du divorce, produit des inégalités…

C’est un des effets du capitalisme… Il faut noter par ailleurs que le nombre de gens susceptibles de se marier étant fini, l’intérêt bien compris du capitalisme est que les gens se marient, divorcent et se remarient, et redivorcent, etc. C’est exactement ce qui est en train de se passer : on assiste au triomphe du capitalisme décomplexé dans le champ matrimonial.

"Le couple monogame est la dernière organisation humaine qui résiste à la loi du capitalisme", écrivez-vous…


C’est une phrase que j’ai empruntée à la sociologue Eva Illouz. Je pense effectivement que le couple marié résiste à cette espèce de recherche frénétique, d’excitation permanente qui est caractéristique du consumérisme contemporain. Ce qui est drôle, c’est que le mariage, censé symboliser le conformisme petit-bourgeois soit devenu une forme de résistance. Et faire l’éloge du couple stable, de nos jours, c’est aller contre l’idéologie dominante.

Puisqu’on parle d’aller contre l’idéologie dominante, vous dites que cela ne sert à rien d’être infidèle…

L’herbe est toujours plus verte ailleurs… Jusqu’à ce qu’on parte ailleurs et qu’on se rende compte que l’herbe n’est pas, là non plus, de la couleur dont on rêverait qu’elle soit. Quand je dis que ça ne sert à rien d’être infidèle, ce n’est pas une condamnation morale, c’est juste un constat. Penser qu’être infidèle va nous permettre de combler une fois pour toutes le désir qui nous habite, c’est se bercer d’illusion. Il est impossible de combler une fois pour toutes le désir qui est en nous. Malebranche a analysé le désir humain comme un désir d’infini, comme un désir orienté vers la recherche d’une satisfaction totale. Pour Malebranche, qui est prêtre et catholique, cet infini, bien sûr, c’est Dieu. Mais qu’on l’appelle « Dieu » ou autrement, l’infini n’étant pas présent dans cette vie, il restera toujours, par conséquent, de l’insatisfaction. C’est aussi ce que disent les Rolling Stones : « I can’t get no satisfaction ». C’est la loi du désir de n’être jamais satisfait. Si, dans l’infidélité, on cherche la satiété, le rassasiement du désir, on ne les trouvera pas. On n’est jamais rassasié.

Et le mariage ne rassasie pas…

Le mariage ne rassasie pas entièrement, non. C’est une des illusions qui font que les mariages explosent : on a des attentes trop élevées par rapport à son conjoint. J’ai une épouse remarquable, mais elle n’est pas Dieu.

L’idéalisation du conjoint est une source d’illusion terrible, dites-vous…

Au temps de la passion commençante, on ne s’aperçoit pas des faiblesses de l’autre qui finissent un jour par apparaître. Aimer, c’est aussi accepter ces faiblesses.

Se marier, dites-vous, c’est accepter d’être vulnérable et dépendant. N’est-ce pas là, précisément, le cœur de la difficulté ? Après tout, nous vivons dans une société où on nous somme d’avoir le contrôle, la maîtrise de tout et surtout de nous…

Bien sûr. Aujourd’hui, à force de se caparaçonner, on devient comme une petite boule toute dure dans laquelle rien ne pénètre. Il y a un désir de maîtrise absolue. Or, c’est quand on ne maîtrise pas, quand on prend des risques, qu’on fait les choses les plus grandes. Existentiellement, prendre un risque, ça veut dire accepter d’assumer une certaine forme de vulnérabilité. Les trois meilleures choses qu’il me semble avoir faites dans ma vie, je les ai faites en m’assumant comme vulnérable. Je me suis marié, au risque que l’autre puisse me dévaster, en me trompant ou me quittant par exemple. J’ai fait des enfants, au risque qu’ils puissent aussi me dévaster (par leur maladie, leur mort, ou bien certains comportements). Et puis, en tant que philosophe, j’accepte d’être croyant, au risque que ma raison perde un peu de son autonomie.

Justement… vous dites que votre femme et vous êtes catholiques, et que c’est une chance : avoir la foi, cela aide, dans un mariage. Et comment font les couples qui ne croient pas en Dieu ?

Je ne suis pas, de fait, le mieux placé pour répondre à cette question… Il se trouve que j’ai toujours eu la foi, j’ai été bien dressé par mes parents (rires). Il y a au moins un avantage que le couple croyant a sur le non-croyant, c’est que le croyant ne risque pas de confondre Dieu et son conjoint, il voit nettement que les deux sont différents.

C’est un bon point… On en revient à cette nécessité de ne pas idéaliser l’autre, ce qui parle à tout le monde, qu’on ait la foi ou pas…

Histoire de lever toute ambiguité, je précise que je pense qu’un couple non-croyant est tout à fait capable de s’aimer toute la vie. J’en ai des exemples autour de moi. Mais on peut quand même rappeler que dans le mariage civil, tel qu’il est juridiquement défini en France, on ne se marie pas « pour la vie ». On se promet fidélité, secours, respect, assistance, etc. (articles 212 et suivants du code civil), mais on ne s’engage pas à s’aimer pour toute la vie. Cela, bien sûr, n’empêche pas les gens de se faire à titre privé le serment de s’aimer pour toujours.

Vous dites que l’amour est "la part divine en nous". Est-ce qu’en langage non-croyant, on ne pourrait pas traduire cette "part divine" par notre capacité à "résister à la loi du capitalisme", à ne pas vouloir tout contrôler, à accepter d’être vulnérable et dépendant ?

Bien sûr. Moi, j’appelle ça Dieu mais je n’empêche personne de l’appeler autrement. Cela me fait penser à « La lettre volée » d’Edgar Allan Poe. Un type vole une lettre très précieuse. On sait que la lettre est chez lui. La police fouille partout et ne la trouve pas. Or la lettre est sur le bureau, bien en évidence. Je me demande si Dieu, ce n’est pas un peu la même chose. On le cherche partout alors qu’on l’a sous les yeux, notamment sous la forme de l’amour. Il faut seulement être capable de le voir.


Par Denis Moreau | Atlantico.fr
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