Assassinat d’un visionnaire incompris car très en avance sur son temps

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29 mai 1978, assassinat du Président Ali Soilihi Mtsachioi Cet article est dédié à M.T., à Kamal Abdallah et aux autres soilihistes.   ...

29 mai 1978, assassinat du Président Ali Soilihi Mtsachioi

Cet article est dédié à M.T., à Kamal Abdallah et aux autres soilihistes.
   

Ali Soilihi Mtsachioi, hélas! Le 29 mai 1978, un homme d’État comorien qui avait tenté de faire assassiner Ali Soilihi Mtsachioi et qui avait été emprisonné durant la Révolution, s’emparant par surprise du pistolet d’un militaire comorien, a abattu à bout portant le chef de la Révolution. Cet assassinat maquillé en «tentative d’évasion» ayant tourné au drame avait soulevé beaucoup de questions aux Comores et au sein de la communauté comorienne vivant à l’étranger, en France essentiellement.

Autant dire que, dans l’euphorie qui avait suivi la capture consécutive au renversement d’Ali Soilihi Mtsachioi, le 13 mai 1978, les Comoriens, qui se croyaient libérés d’une dictature pour vivre définitivement en démocratie et dans la liberté totale, ont chanté et dansé, oubliant parfois certaines barrières sociales, mais ne savaient pas encore – il était très tôt – qu’ils célébraient leur propre renversement et leur propre capture dans les filets de dictatures sans imagination, ni âme à venir.

Quand, le 29 mai 1978, on annonça la mort d’Ali Soilihi Mtsachioi, qui voulait prétendument tenter de s’évader de sa prison, les Comoriens n’étaient plus dans la liesse populaire du 13 mai 1978 et des jours suivants, mais dans une phase d’interrogation et de réflexion, ignorant jusqu’aujourd’hui que ce n’est pas Robert «Bob» Denard qui a été l’auteur de cet assassinat, mais un politicien comorien. Les Comoriens ne savaient pas encore qu’un Comorien venait d’ôter la vie au plus sincère, au plus intelligent, au plus intègre, au plus désintéressé (on ne lui connaît aucune richesse acquise pendant qu’il était au pouvoir), au plus entreprenant, au plus pédagogue, au plus créatif et au plus visionnaire des Présidents comoriens. En réalité, tout a commencé ou s’est accéléré le 3 août 1975.
   
Le 13 août 1975, donc. Avec une facilité déconcertante, sans mort, ni blessé, avec des carabines de chasse aux pigeons, probablement sans cartouches, Ali Soilihi Mtsachioi venait de prendre le pouvoir, en renversant Ahmed Abdallah, auteur d’une proclamation unilatérale d’indépendance, 1 mois et 3 jours auparavant, le 6 juillet 1975, à un moment où l’agitation politique aux Comores était à son comble, à un moment où les Mahorais disaient à qui voulait les entendre qu’ils tenaient à «rester Français pour être libres», eux qui, dès 1956 avaient dit ne pas être concernés par toute évolution des Comores vers l’indépendance, eux qui disaient n’avoir connu de l’autonomie interne, sous l’autorité d’autres Comoriens, que de vives blessures dans leur amour-propre, humiliations, avanies, discriminations et maintes privations, eux qui disaient ne pas vouloir voir leur île faire partie d’un État comorien indépendant, eux dont on a souvent piétiné la susceptibilité, personnalité et sensibilité, eux avec qui on ne veut toujours pas discuter.
  
Arrivé au pouvoir dans un contexte politique houleux et, après avoir constaté amèrement l’impossibilité de concilier les positions de franco-mahoraises et celles des Comores sur Mayotte, Ali Soilihi Mtsachioi en tira d’importantes conséquences diplomatiques à l’égard de la France, mais on soupçonne son ministre des Affaires étrangères de trahison. Voici ce qu’en dit diplomatiquement Alain Deschamps, Ambassadeur de France à Moroni en 1983-1987: «Mouzaoir Abdallah, ancien président de la Chambre des Députés, passait pour le Comorien politicien le plus subtil de tout l’archipel. Il est vrai qu’il avait trahi Saïd Ibrahim puis Ahmed Abdallah et que, ministre des Affaires étrangères d’Ali Soilihi, il avait, aux Nations Unies, défendu si mollement la cause de ce dernier qu’on avait pu le croire, sans doute à tort, stipendié par les services français»: Alain Deschamps: Les Comores d’Ahmed Abdallah. Mercenaires, révolutionnaires et cœlacanthe, Éditions Karthala, Collection «Tropiques», Paris, 2005, p. 76. Le Front de Libération de Mayotte (FROLIMA), créé par Ali Soilihi Mtshachioi, sera dissous dès le putsch du 13 mai 1978. Ses proclamations véhémentes et émouvantes sur Mayotte sont vite oubliées, lui qui, en 1975, avait nommé des cadres mahorais à d’importantes fonctions pour tenter de faire oublier les humiliations du passé, et créer les conditions d’une nouvelle confiance et des retrouvailles.
  
Du 3 août 1975 au 13 mai 1978, Ali Soilihi Mtsachioi a plus fait pour les Comores que tous les autres Présidents réunis, du 13 mai 1978 au 31 mai 2014, sans endettement excessif, ni vente des Comores à des aventuriers étrangers, ni livraison des Comores à un État étranger, ni alliance avec de génocidaires Janjawids, ni vente de passeports comoriens à des étrangers. Ali Soilihi Mtsachioi était un homme pressé, qui voulait tout refaire très vite, qui ne supportait pas de voir les Comoriens croupir dans la misère et l’ignorance, ni vivre dans l’inculture, superstitions, pauvreté et médiocrité. C’était un perfectionniste qui voulait tout changer, sans attendre. Même les collégiens travaillaient, parfois avec des salaires de collégiens. Quand il le fallait, on lançait une journée de solidarité nationale pour le bétonnage de la terrasse d’un «Moudiriya» ici et là.

 Agronome de formation et de profession, on lui doit la création de la Société pour le Développement des Comores (SODÉC), avant même l’indépendance des Comores, et Saïd-Mohamed Cheikh avait déjà remarqué son intelligence politique, allant jusqu’à manifester une crainte intellectuelle et politique à son endroit… Il avait fait de la sécurité alimentaire un idéal, visant ouvertement le rêve irréalisable de l’autosuffisance alimentaire dans un pays qui doit exporter ses denrées alimentaires. Il avait développé les activités agropastorales et, dans un excès de rationalisme quelque peu romantique, voulait révolutionner même les habitudes culinaires et alimentaires des Comoriens et les adapter aux produits agricoles et aux dures réalités socioéconomiques du pays.
  Il réhabilita la culture comorienne et s’employa à la promotion de notre langue, qui lui doit beaucoup de mots, souvent à son ministre Salim Himidi. C’était l’âge d’or de la chanson comorienne, une chanson vantant les mérites du civisme et du patriotisme, sans qu’une seule chanson ne soit dédiée au «Guide», contrairement à la misère intellectuelle conduisant aujourd’hui à un infamant culte de la personnalité. Sans faire dans le patriotisme de fin de semaine, il a été le seul Président comorien à avoir su susciter un sentiment de fierté nationale, même dans le rang de ses détracteurs. Sous Ali Soilihi Mtsachioi, on connaissait et respectait l’hymne national – dont aujourd’hui, des dirigeants de premier plan ne connaissent pas les paroles, et ne savent donc pas le chanter, à en croire le Président Hamada Madi Boléro. Jugeant d’un œil sévère l’héritage administratif colonial, il le critiqua sans nuances, en fit une «table rase», renvoya les fonctionnaires «auprès de leur maman» et mit en place de nouvelles institutions, à la tête desquelles il plaça des collégiens et des lycéens, créant ainsi le fameux «État lycéen» cher à Jean-Claude Pomonti.
  
Estimant qu’il fallait une profonde révolution des mentalités et des mœurs, il se lança dans une implacable chasse aux sorciers et sorcières, au sens propre du terme, s’attaqua aux coutumes ostentatoires, surannées et budgétivores, s’interrogea sur de pratiques liées nolens volens à l’Islam, fustigea les «radoteurs des mosquées» enturbannés, accusés d’être de dangereux notables rétrogrades, conservateurs, réactionnaires, bref des bien-pensants dans un pays dont la jeunesse de l’époque, l’une des plus éveillées sur le plan intellectuel et politique à travers le Tiers-Monde, était gagnée aux idées progressistes, émancipatrices et avant-gardistes du PASOCO, MOLINACO et ASÉC, dans une société à deux vitesses intellectuelles et idéologiques. Mais, justement, c’est sur ce chapitre que la Révolution comorienne a connu son passif, et ce, par des violations irraisonnées de droits de l’Homme. Le Commando Moissi et la Jeunesse révolutionnaire ont été à l’origine de ce chapitre douloureux sur lequel se focalisent les critiques des ennemis de la Révolution pour lui nier crédit et crédibilité. Mais, les régimes politiques qui se succèdent à la tête des Comores depuis le 13 mai 1978 ont fini par faire oublier toutes les erreurs d’Ali Soilihi Mtsachioi qui avaient conduit aux réserves envers cette expérience exaltante et intéressante.
  
Connaissant les ressorts intimes de la société comorienne et les problèmes réels vécus par les Comoriens, Ali Soilihi Mtsachioi avait donné vie et vitalité au monde rural, par l’activité agropastorale, mais aussi par une intelligente et audacieuse politique de décentralisation, voire de fédéralisme contrôlé et limité, incarnée par le «Moudriya», ces imposants et fonctionnels bâtiments implantés en milieu rural et urbain et comportant des locaux administratifs et un collège. Il inversa une vieille tendance quand il amena l’administration et l’École au paysan et au «campagnard», jusqu’alors marginalisés, méprisés et confinés dans l’obscurantisme d’État. Il ouvrit au paysan et à son enfant les portes d’une École pour adultes et pour enfants.

C’était l’âge d’or de l’École publique.
  Il est tout de même une question très intéressante qu’on n’évoque pas suffisamment: l’habileté et l’intelligence qui avaient permis au fougueux révolutionnaire Ali Soilihi Mtsachioi d’obtenir l’alliance des Princes Saïd Ibrahim (qui, sacrilège suprême en Grande-Comore, avait de sérieuses réserves envers le «Grand Mariage») et Saïd Mohamed Djaffar, tous deux, anciens Présidents du Conseil de Gouvernement. À ce sujet, Moncef Saïd Ibrahim déclare: «Ali Soilihi appelait mon père “Papa” et avait un profond respect pour lui», avant d’ajouter: «Mon père était un Prince rouge, avait une très haute idée de la Justice et ne pouvait accepter la focalisation de la société comorienne sur des considérations familiales pour donner ou pour refuser de donner à chacun ce qui lui revient de droit. Sur ce point, le Révolutionnaire et le Prince étaient sur la même longueur d’ondes. Le Révolutionnaire et le Prince se retrouvaient également sur les interrogations relatives à la centralité sociale, voire sociétale, du“Grand Mariage”».
  
Sur le plan idéologique et dans la critique de la société traditionnelle et ses pesanteurs, Ali Soilihi Mtsachioi rappelle le Tanzanien Julius K. Nyerere, le Mozambicain Samora M. Machel et, bien évidemment, l’incontournable Thomas Sankara, qui a fait de la Haute-Volta, le Burkina Faso, «Le Pays des Hommes intègres». Lors de la Révolution comorienne, on a beaucoup parlé de Salim Himidi en sa qualité de ministre de l’Intérieur, mais on a complètement laissé dans l’ombre de l’oubli et de l’ignorance un intellectuel à l’intelligence acérée et vive, une intelligence aux arêtes vives. Salim Himidi a fait découvrir à Ali Soilihi Mtsachioi une foisonnante littérature progressiste, mais surtout les écrits du regretté Maxime Rodinson (1914-2004) sur l’Islam et le socialisme. Salim Himidi, idéologue d’Ali Soilihi Mtsachioi? C’était plutôt la rencontre de deux esprits très acérés, brillants qui, s’ils n’étaient pas accaparés par d’intenses activités étatiques de haut niveau, auraient pu produire des étincelles intellectuelles.
  
Nous qui avons chanté et dansé le 13 mai 1978 et les jours qui ont suivi sommes prompts à reconnaître aujourd’hui qu’Ali Soilihi Mtsachioi a beaucoup fait, sans faire endetter le pays, sans bavardage sambien, sans effectuer le moindre voyage à l’étranger puisqu’il avait un ministre des Affaires étrangères. Nous qui avons chanté et dansé le 13 mai 1978 et les jours qui ont suivi avons fait nos études dans des collèges construits sans fonds par Ali Soilihi Mtsachioi. Nos enfants ont suivi cette voie jusqu’au jour où la médiocrité des régimes politiques qui ont suivi a liquidé cet héritage national au profit d’une École privée à la qualité douteuse (le niveau des élèves, suspect, en dit long sur ce sujet). Donc, au moins, la médiocrité des autorités comoriennes, surtout depuis Saïd Mohamed Djohar, réhabilite Ali Soilihi Mtsachioi. Étonnant retournement de situation! Ironie du sort…
  Demi-frère du Président Saïd-Mohamed Djohar, Ali Soilihi Mtsachioi était originaire de Chouani, la Cité-aux-deux-Présidents.
  
En réalité, Ali Soilihi Mtsachioi n’a commis que trois erreurs: il était en avance sur son temps, aimait beaucoup les Comores et était trop honnête. Il ne pouvait être compris. Imaginez ce que le regretté Président Ali Soilihi Mtsachioi aurait représenté s’il avait accédé au pouvoir maintenant, à un moment où certains esprits ont plus ou moins évolué, à un moment où les Comores comptent un nombre plus important de cadres très bien formés, et à un moment où l’ancien Président aurait eu plus de chance d’être compris

Par ARM
© lemohelien – Samedi 31 mai 2014.
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Assassinat d’un visionnaire incompris car très en avance sur son temps
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