Madagascar vient d’élire un nouveau président de la République. Adoubé par la communauté internationale, mais plutôt mal-élu dans son pays...
RFI: En tant qu’historien, quel regard portez-vous sur
les turbulences qui ont caractérisé la vie politique malgache depuis le
coup d'État de 2009 ?
Nicolas Courtin: Toute analyse paraît vouée à l'échec pour qui se penche sur l'évolution politique récente dans la Grande Île. Cette évolution se traduit par des crises successives apparues à la fin des années 1980 et surtout en 1990. Ces crises sont les manifestations des maux de l'État, de la « gouvernementalité » malgache et de leurs rapports avec la société qui elle-même vit une crise multiforme économique et sociale. Paradoxalement, à Madagascar, chaque fois qu’il y a eu un début de croissance économique, cela a entraîné une crise sociale et remise en cause du pouvoir politique. Ce phénomène est sans doute lié à la nature même de l’économie malgache tenue par une oligarchie d’affaires.
Quelles sont les principales lignes de rupture à l’intérieur de la société malgache ?
Au-delà de la « supposée » fracture entre les populations des Hauts-Plateaux et celles de la côte, je dirais qu'il y a au sein de la société malgache une rupture entre les Merina des Hauts-Plateaux et le reste des populations de Madagascar, entre les élites urbaines de la capitale et des grandes villes et les populations rurales, finalement entre les élites et le peuple. Mais le rôle des élites et des gens de pouvoir régulièrement invoqué est encore insuffisamment étudié malgré quelques exceptions comme les travaux de Faranirina Rajaonah et de Didier Galibert.
Presque la moitié de la population inscrite sur la liste électorale n’est pas allée voter au deuxième tour de l’élection présidentielle. La rupture du pacte social que vous avez évoquée, serait-elle la principale raison de cette abstention historique ?
Cette abstention est le signe d’un désenchantement démocratique profond. La population malgache ne croit plus que sa classe politique soit en mesure de réparer les maux économiques et sociaux dont elle souffre. Les scènes de lynchage et de mises à mort par le feu des touristes auxquelles nous avons assisté en octobre dernier dans l’île touristique de Nosy Be étaient l'expression de la méfiance grandissante des populations à l'égard des institutions. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les élections n’aient pas suscité plus de sympathie que ça, alors que plusieurs observateurs internationaux ont déclaré qu’elles ont été libres, démocratiques et transparentes.
L’Union africaine a joué un rôle majeur dans la résolution de la crise qu’a connue Madagascar depuis les hostilités entre Rajoelina et Ravalomanana. L’intégration de cette île de l’océan Indien dans l’ensemble africain va-t-elle de soi ?
Loin de là ! Outre la réintégration de Madagascar dans l'Union africaine le lundi 27 janvier 2014 après cinq années de suspension, l’intégration de cette île de l’océan Indien dans l’ensemble continental africain pose problème depuis les débuts de l'organisation continentale africaine, bien que Madagascar fasse partie de ses premiers États membres en 1963. Problème lié tout d'abord à l'insularité, toutes choses n'étant pas égales par ailleurs, est-ce que l'intégration d'une certaine île de la mer du Nord dans l'ensemble européen va également de soi ? Je crois que, historiquement et géographiquement, que Madagascar et l'ensemble des îles de l'espace occidental de l'océan Indien nourrissent de forts liens avec l'Afrique australe, et que ceux-ci se sont beaucoup développés grâce à la Communauté de développement d'Afrique australe (ou la SADC, sigle de l'anglais Southern African Development Community). Dans les milieux de la recherche sur l'Afrique, le débat est d'ailleurs toujours vif chez certains de savoir si oui ou non Madagascar fait partie intégrante de l'Afrique.
Sommes-nous encore dans le postcolonial ou diriez-vous que des dynamiques propres à la société malgache ont repris le dessus et déterminent désormais le fait politique ?
Comme historien, je dirais que oui, nous sommes dans le postcolonial ; c'est-à-dire la période historique qui suit immédiatement le moment colonial, malgré une phase de « décolonisation modérée » de 1960 à 1972 qui scelle la fin de la présence militaire française. Je ne saurais parler des rapports avec la France, mais je doute que l'actuel ambassadeur de France à Antananarivo se comporte comme un véritable pro-consul. Néanmoins, les liens entre les deux pays sont toujours aussi ténus...
En ce qui concerne les dynamiques propres à la société malgache, elles n'ont jamais été interrompues même en situation coloniale. Elles ont été bouleversées, modifiées ou recréées dans les cadres de la domination coloniale ; mais, à mon sens, ces dynamiques endogènes ne sur-déterminent pas plus le fait politique que l'implication de la Communauté de développement d'Afrique australe ou de l' l'Union africaine dans le processus de résolutions de la crise politique à Madagascar.
Nicolas Courtin: Toute analyse paraît vouée à l'échec pour qui se penche sur l'évolution politique récente dans la Grande Île. Cette évolution se traduit par des crises successives apparues à la fin des années 1980 et surtout en 1990. Ces crises sont les manifestations des maux de l'État, de la « gouvernementalité » malgache et de leurs rapports avec la société qui elle-même vit une crise multiforme économique et sociale. Paradoxalement, à Madagascar, chaque fois qu’il y a eu un début de croissance économique, cela a entraîné une crise sociale et remise en cause du pouvoir politique. Ce phénomène est sans doute lié à la nature même de l’économie malgache tenue par une oligarchie d’affaires.
Quelles sont les principales lignes de rupture à l’intérieur de la société malgache ?
Au-delà de la « supposée » fracture entre les populations des Hauts-Plateaux et celles de la côte, je dirais qu'il y a au sein de la société malgache une rupture entre les Merina des Hauts-Plateaux et le reste des populations de Madagascar, entre les élites urbaines de la capitale et des grandes villes et les populations rurales, finalement entre les élites et le peuple. Mais le rôle des élites et des gens de pouvoir régulièrement invoqué est encore insuffisamment étudié malgré quelques exceptions comme les travaux de Faranirina Rajaonah et de Didier Galibert.
Presque la moitié de la population inscrite sur la liste électorale n’est pas allée voter au deuxième tour de l’élection présidentielle. La rupture du pacte social que vous avez évoquée, serait-elle la principale raison de cette abstention historique ?
Cette abstention est le signe d’un désenchantement démocratique profond. La population malgache ne croit plus que sa classe politique soit en mesure de réparer les maux économiques et sociaux dont elle souffre. Les scènes de lynchage et de mises à mort par le feu des touristes auxquelles nous avons assisté en octobre dernier dans l’île touristique de Nosy Be étaient l'expression de la méfiance grandissante des populations à l'égard des institutions. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les élections n’aient pas suscité plus de sympathie que ça, alors que plusieurs observateurs internationaux ont déclaré qu’elles ont été libres, démocratiques et transparentes.
L’Union africaine a joué un rôle majeur dans la résolution de la crise qu’a connue Madagascar depuis les hostilités entre Rajoelina et Ravalomanana. L’intégration de cette île de l’océan Indien dans l’ensemble africain va-t-elle de soi ?
Loin de là ! Outre la réintégration de Madagascar dans l'Union africaine le lundi 27 janvier 2014 après cinq années de suspension, l’intégration de cette île de l’océan Indien dans l’ensemble continental africain pose problème depuis les débuts de l'organisation continentale africaine, bien que Madagascar fasse partie de ses premiers États membres en 1963. Problème lié tout d'abord à l'insularité, toutes choses n'étant pas égales par ailleurs, est-ce que l'intégration d'une certaine île de la mer du Nord dans l'ensemble européen va également de soi ? Je crois que, historiquement et géographiquement, que Madagascar et l'ensemble des îles de l'espace occidental de l'océan Indien nourrissent de forts liens avec l'Afrique australe, et que ceux-ci se sont beaucoup développés grâce à la Communauté de développement d'Afrique australe (ou la SADC, sigle de l'anglais Southern African Development Community). Dans les milieux de la recherche sur l'Afrique, le débat est d'ailleurs toujours vif chez certains de savoir si oui ou non Madagascar fait partie intégrante de l'Afrique.
Sommes-nous encore dans le postcolonial ou diriez-vous que des dynamiques propres à la société malgache ont repris le dessus et déterminent désormais le fait politique ?
Comme historien, je dirais que oui, nous sommes dans le postcolonial ; c'est-à-dire la période historique qui suit immédiatement le moment colonial, malgré une phase de « décolonisation modérée » de 1960 à 1972 qui scelle la fin de la présence militaire française. Je ne saurais parler des rapports avec la France, mais je doute que l'actuel ambassadeur de France à Antananarivo se comporte comme un véritable pro-consul. Néanmoins, les liens entre les deux pays sont toujours aussi ténus...
En ce qui concerne les dynamiques propres à la société malgache, elles n'ont jamais été interrompues même en situation coloniale. Elles ont été bouleversées, modifiées ou recréées dans les cadres de la domination coloniale ; mais, à mon sens, ces dynamiques endogènes ne sur-déterminent pas plus le fait politique que l'implication de la Communauté de développement d'Afrique australe ou de l' l'Union africaine dans le processus de résolutions de la crise politique à Madagascar.