Près de vingt ans se sont écoulés depuis le génocide rwandais de 1994, quand des politiciens, des médecins, des mineurs, des commerçants et...
Près de vingt ans se sont écoulés depuis le génocide rwandais de 1994, quand des politiciens, des médecins, des mineurs, des commerçants et des fermiers tuèrent environ 800.000 de leurs compatriotes politiciens, médecins, mineurs, commerçant et fermiers, dans un pays d'Afrique orientale d'à peine 12 millions d'habitants. Aujourd'hui, ces 100 jours d'horreur demeurent l'un des cas de tuerie systématique les plus odieusement efficaces de l'histoire récente et le Rwanda, du moins aux yeux de l'Occident, reste toujours synonyme du chaos qu'a connu son passé pas si lointain.
Sous la présidence de Paul Kagame –qui mit fin au génocide à l'aide de son groupe, à l'époque rebelle, du Front patriotique rwandais alors que le monde hésitait à intervenir– le PIB du pays a augmenté, en moyenne, d'un peu plus de 8% par an depuis 2001, ce qui a permis de sortir 1 million de Rwandais de la pauvreté.
Pour la Banque mondiale, le Rwanda est le second pays africain le plus propice aux affaires (le 32e au niveau mondial), derrière l'île Maurice; pour Transparency International, il s'agit du1er pays le moins corrompu de la région (le 49e au niveau mondial); et pour l'ONG ONE, co-fondée par Bono, le Rwanda est, avec le Mali, le pays qui s'approche le plus des objectifs du millénaire pour le développement de l'ONU, une liste qui concerne autant l'amélioration du système éducatif que la réduction de la pauvreté ou encore le développement d'un système de santé conséquent. Et en termes d'égalité des sexes, avec 64% de femmes au parlement, le Rwanda est actuellement le pays possédant la proportion la plus élevée de femmes députés dans le monde.
Pour autant, tous ces succès semblent bien modestes face aux objectifs à long terme que s'est donnés le pays. Selon le texte de la mission gouvernementale, Rwanda Vision 2020, il doit atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire en sautant tout simplement la phase d'industrialisation et en façonnant directement une économie fondée sur les technologies de l'information et des communications.
Des start-up, une université, des entreprises technos...
La chose pourrait ne pas sembler si ambitieuse que cela, sauf à oublier que le secteur d'activité principal du Rwanda demeure toujours l'agriculture de subsistance, que 40% des Rwandais sont encore sous le seuil de pauvreté et qu'à peine un Rwandais sur deux était capable de lire et d'écrire en 2000.
Par ailleurs, sans avoir connu d'industrialisation substantielle, un manque criant d'infrastructures se fait toujours sentir au Rwanda: seuls 16% des foyers sont dotés de l'électricité, ce qui est loin d'être un chiffre prometteur pour une société faisant le pari d'un avenir high-tech.
Mais les Rwandais peuvent compter sur un accès massif aux téléphones portables –environ 60% des habitants en sont dotés, soit une hausse de 6% depuis 2006. Ils jouissent aussi d'un accès convenable à Internet, surtout en comparaison à d'autres pays africains: selon le Guardian et son nouvel outil interactif cartographiant le débit Internet du monde entier, télécharger une photo de 5Mo au Rwanda prend environ 5 secondes, contre quasiment 10 secondes en Afrique du Sud (aux Etats-Unis, la chose demande un peu moins de 2 secondes et, en France 1,56 seconde).
En septembre, les autorités ont mis en place plusieurs spots WiFi à Kigali, la capitale. Et l'été dernier, le Rwanda signait un contrat avec KT Corp., le premier opérateur télécoms de Corée du Sud, pour permettre à 95% de la population rwandaise d'être couverte par la 4G dans les trois ans à venir. Quant à Visa, l'entreprise vient de donner un sérieux gage de confiance au pays en choisissant d'y déployer un nouveau système de paiement mobile, censé remplacer l'argent liquide, et permettant de mieux relier les habitants des zones rurales n'ayant pas l'habitude des services bancaires.
L'une des premières lignes de front de Vision 2020 est le kLab. Situé à Kigali, le kLab –pour «laboratoire de la connaissance»– est un espace collaboratif unique permettant à des jeunes entrepreneurs et autres ingénieurs d'accéder à du WiFi gratuit, de participer à des ateliers et des conférences, de se mesurer entre eux lors de hackathons, ou tout simplement d'échanger des astuces de code au cours d'une partie de baby-foot, pour reprendre la description de Katie Collins dans le Wired d'octobre. Ce centre peut aussi compter sur l'expérience de 21 mentors, disponibles pour développer des idées en germe ou offrir des conseils commerciaux à toute nouvelle entreprise projetant de percer dans le secteur technologique.
Aujourd'hui, le kLab héberge 85 «locataires» et 11 start-ups, dont la plupart a déjà lancé des produits sur le marché. Foyo, par exemple, a conçu une application qui envoie des conseils quotidiens d'hygiène et de diététique à ses utilisateurs, tandis que TorQue est célèbre pour son système d'inventaire dans le cloud destiné aux petites et moyennes entreprises. L'une des entreprises les plus prospères du kLab est GiraICT, qui fabrique des tablettes et des smartphones, très semblables aux appareils d'HP et de Samsung, mais accessibles aux plus bas revenus grâce à un système de paiement mensualisé. Depuis son lancement, GiraICT a ouvert des succursales au Burundi et au Ghana.
Kagamé, le «président numérique»
Un autre élément remplissant de promesses l'avenir du kLab est son association avec le campus de recherche, relativement nouveau, de l'Université Carnegie Mellon, situé un étage au-dessous. «Vous dites: "J'ai des entrepreneurs, une université de renommée mondiale, des entreprises technologiques et une infrastructure ad hoc" –ça me fait penser à une mini Silicon Valley», déclarait Michael Bezy, directeur associé de l'Université Carnegie Mellon-Rwanda, lors de l'inauguration officielle du kLab, en octobre.
Avec 60% de la population rwandaise ayant moins de 25 ans, les autorités ont fortement tablé sur le projet One Laptop per Child, un partenariat entre deux ONG américaines dont le but est de mettre des ordinateurs à bas prix entre les mains des jeunes les plus pauvres de la planète. A l'heure actuelle, OLPC a distribué plus de 200.000 ordinateurs portables à plus de 400 écoles réparties dans tout le Rwanda, ce qui place le pays à la troisième place du projet, derrière le Pérou et l'Uruguay, en termes d'appareils fournis.
De manière très judicieuse pour un petit pays projetant de devenir un havre technologique, le Président Kagame, très présent sur Twitter, est souvent surnommé le «président numérique». Mais on peut douter que le Rwanda soit suffisamment stable pour réaliser ses objectifs.
Premièrement, le pays a le taux d'inégalités le plus élevé de la région, avec 10% d'habitants les plus riches gagnant 3,2 fois les revenus des 40% d'habitants les plus pauvres, selon un rapport de 2011 de la Society for International Development. Et Kagame gouverne en autocrate, avec des élections où les partis d'opposition sont absents et des limites à la liberté de la presse justifiées par la peur que ses mots n'attisent à nouveau la flamme génocidaire.
Les faiblesses du pays
Par le passé, Human Rights Watch et les Nations unies ont accusé le Rwanda de financer le groupe rebelle armé M23, aujourd'hui disparu et situé à l'époque dans la voisine et très troublée République démocratique du Congo. Même si les autorités rwandaises l'ont toujours démenti, des pays occidentaux comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont régulièrement suspendu leurs aides étrangères pour ces raisons –une aide sur laquelle le gouvernement Kagame compte pour boucler 40% de son budget annuel –en 1995, le budget rwandais dépendait même à 100% des aides extérieures.
Au final, les investissements nationaux et privés en faveur de la technologie ont permis au projet visant à transformer le Rwanda en société à revenu intermédiaire grâce à une économie fondée sur les TIC d'avancer d'un pas. Et avec le dernier rapport sur les technologies de l'information du Forum économique mondial, plaçant le Rwanda à la première place des pays d'Afrique orientale prêts pour le numérique, et l'Organisation mondiale de la santé estimant que le pays est celui qui, sur le continent africain, investit la plus grande proportion de son budget à son système de santé, l'ancien Etat-failli retrouve de lui-même la voie de la réussite.
Selon Carter Crockett, co-fondateur de Karisimbi Business Partners, cabinet de consulting basé à Kigali, et directeur-fondateur du Center for Entrepreneurial Leadership du Gordon College, dans le Massachusetts, le Rwanda a toutes les chances de relever un tel défi. «Le meilleur atout de la stratégie technologique du Rwanda est sa vision audacieuse de l'avenir», m'a dit Crockett au téléphone. «C'est un tout petit pays qui aime faire de très grands rêves. Les grands projets attirent les gens, et c'est là tout l'avantage du Rwanda.»
Paul Hiebert
Traduit par Peggy Sastre
Slate.fr
Cependant, les yeux commencent à se tourner vers le Rwanda pour d'autres raisons.
Sous la présidence de Paul Kagame –qui mit fin au génocide à l'aide de son groupe, à l'époque rebelle, du Front patriotique rwandais alors que le monde hésitait à intervenir– le PIB du pays a augmenté, en moyenne, d'un peu plus de 8% par an depuis 2001, ce qui a permis de sortir 1 million de Rwandais de la pauvreté.
Pour la Banque mondiale, le Rwanda est le second pays africain le plus propice aux affaires (le 32e au niveau mondial), derrière l'île Maurice; pour Transparency International, il s'agit du1er pays le moins corrompu de la région (le 49e au niveau mondial); et pour l'ONG ONE, co-fondée par Bono, le Rwanda est, avec le Mali, le pays qui s'approche le plus des objectifs du millénaire pour le développement de l'ONU, une liste qui concerne autant l'amélioration du système éducatif que la réduction de la pauvreté ou encore le développement d'un système de santé conséquent. Et en termes d'égalité des sexes, avec 64% de femmes au parlement, le Rwanda est actuellement le pays possédant la proportion la plus élevée de femmes députés dans le monde.
Pour autant, tous ces succès semblent bien modestes face aux objectifs à long terme que s'est donnés le pays. Selon le texte de la mission gouvernementale, Rwanda Vision 2020, il doit atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire en sautant tout simplement la phase d'industrialisation et en façonnant directement une économie fondée sur les technologies de l'information et des communications.
Des start-up, une université, des entreprises technos...
La chose pourrait ne pas sembler si ambitieuse que cela, sauf à oublier que le secteur d'activité principal du Rwanda demeure toujours l'agriculture de subsistance, que 40% des Rwandais sont encore sous le seuil de pauvreté et qu'à peine un Rwandais sur deux était capable de lire et d'écrire en 2000.
Par ailleurs, sans avoir connu d'industrialisation substantielle, un manque criant d'infrastructures se fait toujours sentir au Rwanda: seuls 16% des foyers sont dotés de l'électricité, ce qui est loin d'être un chiffre prometteur pour une société faisant le pari d'un avenir high-tech.
Mais les Rwandais peuvent compter sur un accès massif aux téléphones portables –environ 60% des habitants en sont dotés, soit une hausse de 6% depuis 2006. Ils jouissent aussi d'un accès convenable à Internet, surtout en comparaison à d'autres pays africains: selon le Guardian et son nouvel outil interactif cartographiant le débit Internet du monde entier, télécharger une photo de 5Mo au Rwanda prend environ 5 secondes, contre quasiment 10 secondes en Afrique du Sud (aux Etats-Unis, la chose demande un peu moins de 2 secondes et, en France 1,56 seconde).
En septembre, les autorités ont mis en place plusieurs spots WiFi à Kigali, la capitale. Et l'été dernier, le Rwanda signait un contrat avec KT Corp., le premier opérateur télécoms de Corée du Sud, pour permettre à 95% de la population rwandaise d'être couverte par la 4G dans les trois ans à venir. Quant à Visa, l'entreprise vient de donner un sérieux gage de confiance au pays en choisissant d'y déployer un nouveau système de paiement mobile, censé remplacer l'argent liquide, et permettant de mieux relier les habitants des zones rurales n'ayant pas l'habitude des services bancaires.
L'une des premières lignes de front de Vision 2020 est le kLab. Situé à Kigali, le kLab –pour «laboratoire de la connaissance»– est un espace collaboratif unique permettant à des jeunes entrepreneurs et autres ingénieurs d'accéder à du WiFi gratuit, de participer à des ateliers et des conférences, de se mesurer entre eux lors de hackathons, ou tout simplement d'échanger des astuces de code au cours d'une partie de baby-foot, pour reprendre la description de Katie Collins dans le Wired d'octobre. Ce centre peut aussi compter sur l'expérience de 21 mentors, disponibles pour développer des idées en germe ou offrir des conseils commerciaux à toute nouvelle entreprise projetant de percer dans le secteur technologique.
Aujourd'hui, le kLab héberge 85 «locataires» et 11 start-ups, dont la plupart a déjà lancé des produits sur le marché. Foyo, par exemple, a conçu une application qui envoie des conseils quotidiens d'hygiène et de diététique à ses utilisateurs, tandis que TorQue est célèbre pour son système d'inventaire dans le cloud destiné aux petites et moyennes entreprises. L'une des entreprises les plus prospères du kLab est GiraICT, qui fabrique des tablettes et des smartphones, très semblables aux appareils d'HP et de Samsung, mais accessibles aux plus bas revenus grâce à un système de paiement mensualisé. Depuis son lancement, GiraICT a ouvert des succursales au Burundi et au Ghana.
Kagamé, le «président numérique»
Un autre élément remplissant de promesses l'avenir du kLab est son association avec le campus de recherche, relativement nouveau, de l'Université Carnegie Mellon, situé un étage au-dessous. «Vous dites: "J'ai des entrepreneurs, une université de renommée mondiale, des entreprises technologiques et une infrastructure ad hoc" –ça me fait penser à une mini Silicon Valley», déclarait Michael Bezy, directeur associé de l'Université Carnegie Mellon-Rwanda, lors de l'inauguration officielle du kLab, en octobre.
«La seule chose qui nous manque, ce sont des capitaux-risqueurs.»
Avec 60% de la population rwandaise ayant moins de 25 ans, les autorités ont fortement tablé sur le projet One Laptop per Child, un partenariat entre deux ONG américaines dont le but est de mettre des ordinateurs à bas prix entre les mains des jeunes les plus pauvres de la planète. A l'heure actuelle, OLPC a distribué plus de 200.000 ordinateurs portables à plus de 400 écoles réparties dans tout le Rwanda, ce qui place le pays à la troisième place du projet, derrière le Pérou et l'Uruguay, en termes d'appareils fournis.
De manière très judicieuse pour un petit pays projetant de devenir un havre technologique, le Président Kagame, très présent sur Twitter, est souvent surnommé le «président numérique». Mais on peut douter que le Rwanda soit suffisamment stable pour réaliser ses objectifs.
Premièrement, le pays a le taux d'inégalités le plus élevé de la région, avec 10% d'habitants les plus riches gagnant 3,2 fois les revenus des 40% d'habitants les plus pauvres, selon un rapport de 2011 de la Society for International Development. Et Kagame gouverne en autocrate, avec des élections où les partis d'opposition sont absents et des limites à la liberté de la presse justifiées par la peur que ses mots n'attisent à nouveau la flamme génocidaire.
Les faiblesses du pays
Par le passé, Human Rights Watch et les Nations unies ont accusé le Rwanda de financer le groupe rebelle armé M23, aujourd'hui disparu et situé à l'époque dans la voisine et très troublée République démocratique du Congo. Même si les autorités rwandaises l'ont toujours démenti, des pays occidentaux comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont régulièrement suspendu leurs aides étrangères pour ces raisons –une aide sur laquelle le gouvernement Kagame compte pour boucler 40% de son budget annuel –en 1995, le budget rwandais dépendait même à 100% des aides extérieures.
Au final, les investissements nationaux et privés en faveur de la technologie ont permis au projet visant à transformer le Rwanda en société à revenu intermédiaire grâce à une économie fondée sur les TIC d'avancer d'un pas. Et avec le dernier rapport sur les technologies de l'information du Forum économique mondial, plaçant le Rwanda à la première place des pays d'Afrique orientale prêts pour le numérique, et l'Organisation mondiale de la santé estimant que le pays est celui qui, sur le continent africain, investit la plus grande proportion de son budget à son système de santé, l'ancien Etat-failli retrouve de lui-même la voie de la réussite.
Selon Carter Crockett, co-fondateur de Karisimbi Business Partners, cabinet de consulting basé à Kigali, et directeur-fondateur du Center for Entrepreneurial Leadership du Gordon College, dans le Massachusetts, le Rwanda a toutes les chances de relever un tel défi. «Le meilleur atout de la stratégie technologique du Rwanda est sa vision audacieuse de l'avenir», m'a dit Crockett au téléphone. «C'est un tout petit pays qui aime faire de très grands rêves. Les grands projets attirent les gens, et c'est là tout l'avantage du Rwanda.»
Paul Hiebert
Traduit par Peggy Sastre
Slate.fr