Malgré le veto des autorités politiques et financières de Madagascar, le Crédit agricole est en passe de vendre la principale banque du pay...
Malgré le veto des autorités politiques et financières de Madagascar, le
Crédit agricole est en passe de vendre la principale banque du pays, la
BNI, à un groupe d'investisseurs qui n'a ni compétence ni expérience
bancaire.
Alors que les autorités de Madagascar s'y sont opposées à de nombreuses reprises, le Crédit agricole veut vendre sa participation majoritaire dans la plus grande banque du pays à des investisseurs qui ne présentent pas les garanties suffisantes. Et le passage en force est peut-être en passe de réussir : selon un communiqué que vient de publier le premier ministre de ce pays et d'après les différentes autorités de tutelle, l’opération de cession avance. Sans scrupule, la banque française pourrait donc se délester sans la moindre précaution d’une participation dont elle ne veut plus, dans un pays qui est pourtant miné par l’affairisme.
Ce projet de cession par le Crédit agricole des 51 % qu’il détient dans l’une des deux principales banques du pays, la BNI Madagascar, à un groupe d’investisseurs qui n’ont quasiment aucune expérience bancaire, Mediapart en a tenu la chronique ces dernières semaines. On peut en retrouver les plus récents rebondissements dans nos deux dernières enquêtes : Madagascar : l’insoutenable légèreté du Crédit agricole et Le Crédit agricole essuie un camouflet éthique à Madagascar.
En résumé, les principales instances de régulation du système bancaire à Madagascar se sont à plusieurs reprises opposées à ce projet de cession, estimant que les candidats au rachat ne présentaient pas les garanties suffisantes ni ne disposaient de l’expérience bancaire nécessaire. Mais à chaque fois, la banque française a passé outre ces injonctions, bien que l’ambassadeur de France à Madagascar ait plaidé le 14 juillet dernier pour un « assainissement radical du climat des affaires ».
Cette opposition au projet a même pris récemment une forme spectaculaire puisque le premier ministre du pays, Jean-Omer Beriziky, a adressé une lettre en date du 2 novembre 2013, que Mediapart a révélée, aux principales autorités de tutelle du secteur bancaire, expliquant les raisons de son veto. Le premier ministre faisait en particulier ces observations : « Dans un souci majeur de préserver de façon pérenne la solidité du système bancaire et financier à Madagascar, il me paraît urgent et crucial d’intégrer cette notion de banque de référence internationale/banque de premier ordre parmi les critères techniques fondamentaux d’agrément des banques dans notre pays. Le consortium qui postule actuellement au rachat de la BNI ne dispose pas de cette expérience. Par ailleurs, ses membres opèrent dans plusieurs domaines d’activité, dont l’immobilier, la téléphonie mobile, l’import-export, la concession automobile, etc. Il est évident que les principaux clients de la BNI qui exercent dans les mêmes secteurs éprouveront de la réticence à soumettre leurs dossiers confidentiels à une banque détenue par la concurrence (…) Il y a de fortes chances pour que cette situation aboutisse à la fuite de ses gros clients, dont les dix premiers, à eux seuls, génèrent plus de 80 % des résultats de la BNI, ce qui fragilisera dangereusement et rapidement la situation financière de la banque et créera même une perturbation du système financier en général. »
Et pour conclure cette lettre, le premier ministre ajoutait : « L’État, en tant que tutelle du secteur, encourage la recherche de partenaires ou l’introduction de nouvelles banques à Madagascar mais suggère la mise en œuvre d’un dossier d’appel d’offres ouvert en ce qui concerne le cas de la BNI. » C’était donc dit clair et net : le dossier a été jusqu’à présent traité en dépit du bon sens ; il est urgent d’arrêter de faire n’importe quoi, en tolérant d’invraisemblables conflits d’intérêts, qui risquent d’enfoncer le pays un peu plus dans l’affairisme.
L’opposition du premier ministre malgache à cette opération se comprend sans peine car les candidats au rachat ne sont pas du tout issus du monde de la banque. Il s’agit d’une part d’un consortium dénommé Ciel, qui fait partie du groupe mauricien Indian Ocean Financial Holdings Ltd ; et d’autre part, d’un autre homme d’affaires, dénommé Hassanein Hiridjee, dont la holding dénommée Trielite est immatriculée aux îles Vierges britanniques. De nationalité française, ce « Karan » – comme on appelle à Madagascar ceux qui sont originaires d’Inde – est un proche du président de la Transition, Andry Rajoelina. L’homme d’affaires Hassanein Hiridjee contrôle par ailleurs First Immo, une grosse société de développement immobilier opérant à Tananarive. Le même homme d’affaires a, enfin, mis la main dans des conditions controversées sur le principal opérateur téléphonique de Madagascar, Telma (les anciens Téléphones de Madagascar), lors de la privatisation des réseaux téléphoniques, société Telma qui est aujourd’hui lourdement endettée. Pour la petite histoire, ce même Hassanein Hiridjee est aussi une connaissance de Bernard Tapie avec lequel il avait un temps songé à s’associer pour faire une offre pour la BNI.
On comprend donc les craintes du premier ministre malgache et le ton très ferme de son communiqué. Or, cette fois encore, le Crédit agricole, au lieu de chercher un nouvel acquéreur comme il y était invité, a choisi de tenter de passer en force. Et cela est peut-être en train de réussir.
Que s’est-il passé dans les jours qui ont suivi le 2 novembre ? Dans les coulisses du pouvoir et des milieux d’affaires malgaches, quelles intrigues nouvelles se sont-elles nouées ? Et, à la veille du second tour de l’élection présidentielle malgache, qui doit avoir lieu le 20 décembre, le Crédit agricole, a-t-il fait le calcul d’aller vite, de peur que son projet ne puisse rencontrer de nouvelles difficultés au lendemain du scrutin ? En tout état de cause, le fait est là : en quelques jours, le projet d’acquisition, qui semblait enterré, a presque abouti. Le 13 décembre, le premier ministre de Madagascar, le ministre des finances, la direction générale du Trésor et la Commission de supervision bancaire et financière de ce pays ont publié un communiqué commun, signalant que trois jours plus tôt, une réunion avait été organisée entre toutes les parties prenantes de l’opération. Et le communiqué ajoutait : « À l’issue d’un examen approfondi et d’un débat de fond, l’ensemble des représentants de l’État et des autorités de tutelle a avalisé le principe de la cession du contrôle de la BNI. »
Magique, non ? Sulfureux, le projet de cession est subitement devenu tout à fait présentable…
L’affaire n’est peut-être pas totalement bouclée. Car, au lendemain de l’élection présidentielle, il ne faut pas exclure d’ultimes rebondissements. Mais la morale de l’histoire est déjà transparente : l’ancienne puissance coloniale qu’est la France, et qui dans le passé s’est si mal comportée à l’égard de Madagascar, avait une obligation d’exemplarité – une obligation d’autant plus forte que la Grande Île est un pays ravagé par la misère et l’affairisme.
Et pourtant, la France s’est affranchie de cette obligation sans le moindre scrupule, laissant le Crédit agricole faire à sa guise ses petites affaires à Madagascar. Il aurait suffi d’un mot du ministre français des finances, Pierre Moscovici, ou de celui des affaires étrangères, Laurent Fabius, à l’adresse de Xavier Musca (ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy), qui gère ce dossier à Paris pour le Crédit agricole, pour que la banque française rentre dans le rangs. Ce mot n’est visiblement jamais venu…
Alors que les autorités de Madagascar s'y sont opposées à de nombreuses reprises, le Crédit agricole veut vendre sa participation majoritaire dans la plus grande banque du pays à des investisseurs qui ne présentent pas les garanties suffisantes. Et le passage en force est peut-être en passe de réussir : selon un communiqué que vient de publier le premier ministre de ce pays et d'après les différentes autorités de tutelle, l’opération de cession avance. Sans scrupule, la banque française pourrait donc se délester sans la moindre précaution d’une participation dont elle ne veut plus, dans un pays qui est pourtant miné par l’affairisme.
Ce projet de cession par le Crédit agricole des 51 % qu’il détient dans l’une des deux principales banques du pays, la BNI Madagascar, à un groupe d’investisseurs qui n’ont quasiment aucune expérience bancaire, Mediapart en a tenu la chronique ces dernières semaines. On peut en retrouver les plus récents rebondissements dans nos deux dernières enquêtes : Madagascar : l’insoutenable légèreté du Crédit agricole et Le Crédit agricole essuie un camouflet éthique à Madagascar.
En résumé, les principales instances de régulation du système bancaire à Madagascar se sont à plusieurs reprises opposées à ce projet de cession, estimant que les candidats au rachat ne présentaient pas les garanties suffisantes ni ne disposaient de l’expérience bancaire nécessaire. Mais à chaque fois, la banque française a passé outre ces injonctions, bien que l’ambassadeur de France à Madagascar ait plaidé le 14 juillet dernier pour un « assainissement radical du climat des affaires ».
Cette opposition au projet a même pris récemment une forme spectaculaire puisque le premier ministre du pays, Jean-Omer Beriziky, a adressé une lettre en date du 2 novembre 2013, que Mediapart a révélée, aux principales autorités de tutelle du secteur bancaire, expliquant les raisons de son veto. Le premier ministre faisait en particulier ces observations : « Dans un souci majeur de préserver de façon pérenne la solidité du système bancaire et financier à Madagascar, il me paraît urgent et crucial d’intégrer cette notion de banque de référence internationale/banque de premier ordre parmi les critères techniques fondamentaux d’agrément des banques dans notre pays. Le consortium qui postule actuellement au rachat de la BNI ne dispose pas de cette expérience. Par ailleurs, ses membres opèrent dans plusieurs domaines d’activité, dont l’immobilier, la téléphonie mobile, l’import-export, la concession automobile, etc. Il est évident que les principaux clients de la BNI qui exercent dans les mêmes secteurs éprouveront de la réticence à soumettre leurs dossiers confidentiels à une banque détenue par la concurrence (…) Il y a de fortes chances pour que cette situation aboutisse à la fuite de ses gros clients, dont les dix premiers, à eux seuls, génèrent plus de 80 % des résultats de la BNI, ce qui fragilisera dangereusement et rapidement la situation financière de la banque et créera même une perturbation du système financier en général. »
Et pour conclure cette lettre, le premier ministre ajoutait : « L’État, en tant que tutelle du secteur, encourage la recherche de partenaires ou l’introduction de nouvelles banques à Madagascar mais suggère la mise en œuvre d’un dossier d’appel d’offres ouvert en ce qui concerne le cas de la BNI. » C’était donc dit clair et net : le dossier a été jusqu’à présent traité en dépit du bon sens ; il est urgent d’arrêter de faire n’importe quoi, en tolérant d’invraisemblables conflits d’intérêts, qui risquent d’enfoncer le pays un peu plus dans l’affairisme.
L’opposition du premier ministre malgache à cette opération se comprend sans peine car les candidats au rachat ne sont pas du tout issus du monde de la banque. Il s’agit d’une part d’un consortium dénommé Ciel, qui fait partie du groupe mauricien Indian Ocean Financial Holdings Ltd ; et d’autre part, d’un autre homme d’affaires, dénommé Hassanein Hiridjee, dont la holding dénommée Trielite est immatriculée aux îles Vierges britanniques. De nationalité française, ce « Karan » – comme on appelle à Madagascar ceux qui sont originaires d’Inde – est un proche du président de la Transition, Andry Rajoelina. L’homme d’affaires Hassanein Hiridjee contrôle par ailleurs First Immo, une grosse société de développement immobilier opérant à Tananarive. Le même homme d’affaires a, enfin, mis la main dans des conditions controversées sur le principal opérateur téléphonique de Madagascar, Telma (les anciens Téléphones de Madagascar), lors de la privatisation des réseaux téléphoniques, société Telma qui est aujourd’hui lourdement endettée. Pour la petite histoire, ce même Hassanein Hiridjee est aussi une connaissance de Bernard Tapie avec lequel il avait un temps songé à s’associer pour faire une offre pour la BNI.
On comprend donc les craintes du premier ministre malgache et le ton très ferme de son communiqué. Or, cette fois encore, le Crédit agricole, au lieu de chercher un nouvel acquéreur comme il y était invité, a choisi de tenter de passer en force. Et cela est peut-être en train de réussir.
Que s’est-il passé dans les jours qui ont suivi le 2 novembre ? Dans les coulisses du pouvoir et des milieux d’affaires malgaches, quelles intrigues nouvelles se sont-elles nouées ? Et, à la veille du second tour de l’élection présidentielle malgache, qui doit avoir lieu le 20 décembre, le Crédit agricole, a-t-il fait le calcul d’aller vite, de peur que son projet ne puisse rencontrer de nouvelles difficultés au lendemain du scrutin ? En tout état de cause, le fait est là : en quelques jours, le projet d’acquisition, qui semblait enterré, a presque abouti. Le 13 décembre, le premier ministre de Madagascar, le ministre des finances, la direction générale du Trésor et la Commission de supervision bancaire et financière de ce pays ont publié un communiqué commun, signalant que trois jours plus tôt, une réunion avait été organisée entre toutes les parties prenantes de l’opération. Et le communiqué ajoutait : « À l’issue d’un examen approfondi et d’un débat de fond, l’ensemble des représentants de l’État et des autorités de tutelle a avalisé le principe de la cession du contrôle de la BNI. »
Magique, non ? Sulfureux, le projet de cession est subitement devenu tout à fait présentable…
L’affaire n’est peut-être pas totalement bouclée. Car, au lendemain de l’élection présidentielle, il ne faut pas exclure d’ultimes rebondissements. Mais la morale de l’histoire est déjà transparente : l’ancienne puissance coloniale qu’est la France, et qui dans le passé s’est si mal comportée à l’égard de Madagascar, avait une obligation d’exemplarité – une obligation d’autant plus forte que la Grande Île est un pays ravagé par la misère et l’affairisme.
Et pourtant, la France s’est affranchie de cette obligation sans le moindre scrupule, laissant le Crédit agricole faire à sa guise ses petites affaires à Madagascar. Il aurait suffi d’un mot du ministre français des finances, Pierre Moscovici, ou de celui des affaires étrangères, Laurent Fabius, à l’adresse de Xavier Musca (ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy), qui gère ce dossier à Paris pour le Crédit agricole, pour que la banque française rentre dans le rangs. Ce mot n’est visiblement jamais venu…
Par Laurent Mauduit