La plupart des homicides sont liés aux trafics de drogue, qui prospèrent sur fond de difficultés sociales.Les mesures prises il y a pr...
La plupart des homicides sont liés aux trafics de drogue, qui prospèrent sur fond de difficultés sociales.Les
mesures prises il y a près d’un an à l’issue d’un comité
interministériel consacré à la sécurité à Marseille n’ont guère permis
d’inverser la tendance.
Ce déplacement est intervenu après la mort violente de jeunes gens : l’un avait été criblé de balles lundi et l’autre victime d’une rixe mortelle dimanche. L’un des meurtriers présumés avait ensuite agressé un infirmier des urgences à l’hôpital de la Conception. Manuel Valls devait annoncer l’envoi d’enquêteurs supplémentaires de la police judiciaire pour lutter contre le trafic de drogue.
Depuis le début de l’année, 13 règlements de comptes ont été perpétrés dans les Bouches-du-Rhône, dont 11 sont probablement liés au trafic.
Marseille est-elle une ville plus violente que les autres ?
Selon les statistiques rassemblées par l’Observatoire national de la délinquance, qui sont départementales, les Bouches-du-Rhône occupent la tête du classement pour les règlements de comptes, avec une brusque accélération ces dernières années : 7 en 2007, 16 en 2008 et 2009, 17 en 2010 et 2011, 25 en 2012.En Seine-Saint-Denis, département un peu moins peuplé (1,5 million contre 1,9 million d’habitants) mais aussi touché par le commerce de stupéfiants, un seul a été enregistré en 2012. « Il y a quand même une agressivité et une violence hors norme à Marseille », témoigne un policier muté dans la ville après avoir travaillé à Paris et dans d’autres régions.
Mais tous les homicides ne sont pas crapuleux, et il y en a moins « pour d’autres motifs » qu’à Paris : 23 dans les Bouches-du-Rhône contre 34 dans la capitale en 2012, pour une population comparable. Et la Corse est proportionnellement bien plus violente, avec 17 règlements de comptes en 2012 pour 310 000 habitants.
Les plus anciens se souviennent aussi que les années 1970-1980 avaient été déjà particulièrement sanglantes dans la cité provençale. La seule tuerie du bar des Marronniers, en 1978, avait fait 10 morts.
Comment expliquer la poussée de violence observée ces dernières années ?
Dans une large mesure, les homicides perpétrés à Marseille trouvent leur origine dans les trafics de drogue. La vente massive de stupéfiants n’a rien de neuf dans la Cité phocéenne, facilement approvisionnée en cannabis, notamment, depuis le Maghreb. Mais le marché a connu, ces dernières décennies, une réorganisation. « L’économie criminelle a ses cycles », analyse Michel Peraldi, sociologue au CNRS. « Après avoir pris des risques et gagné beaucoup d’argent, ceux qu’on appelle parfois les “‘gros bonnets” se sont déplacés vers l’économie formelle, laissant les trafics à d’autres, nombreux. C’est un peu comme si l’on rouvrait de petites épiceries après la disparition de l’hypermarché. Les petits trafiquants, pour se faire une place, utilisent des méthodes très violentes, là où il suffisait aux grands bandits de froncer les sourcils pour inspirer de l’effroi. »
Auteur de plusieurs ouvrages sur le milieu marseillais, Bruno Aubry observe, lui, qu’entre les acteurs internationaux et les petits revendeurs il n’existe plus de « hiérarchie intermédiaire susceptible de contrôler les effets collatéraux des trafics ». Un phénomène qui va de pair, selon lui, avec une « précarisation » du banditisme : « Avant, on y entrait dans le giron de la famille, quasiment en CDI. Maintenant, on fait appel à des intérimaires du crime, recrutés pour un coup et qui vont chercher à se faire un nom aux dépens de leurs concurrents, en usant, si nécessaire, d’une kalachnikov. »
La délinquance se développe grâce à une « économie de la pauvreté »
Les données socio-économiques de Marseille dressent le portrait d’une ville pauvre, avec des quartiers Nord particulièrement touchés par le chômage et l’échec scolaire. Sur ce terreau s’est développé ce que la sociologue Claire Duport appelle une « économie de la pauvreté ». Les caïds trouvent une main-d’œuvre disponible pour occuper les fonctions de guetteurs et de vendeurs, souvent mineurs, ainsi que des « nourrices » qui cachent les stupéfiants dans leur appartement.
Cette situation rappelle à Fabrice Rizzoli, spécialiste de la mafia, le contexte italien. « Comme à Palerme ou à Reggio de Calabre, quand il y a 50 % de chômage chez les jeunes et que le trafic est le seul débouché, les trafiquants amènent du consensus social en donnant du boulot, analyse-t-il. Mais il ne faut pas oublier de parler de la population qui subit. »
La drogue, cependant, n’explique pas tout, loin s’en faut. Le mois dernier, plage des Catalans, une vingtaine de jeunes avait tenté de noyer le chef du poste de secours, intervenu pour les empêcher de jeter du sable sur un bébé. Ce week-end, après avoir poignardé un garçon de 18 ans, décédé lundi, trois jeunes se sont présentés aux urgences, où, exigeant d’être soignés immédiatement, ils s’en sont pris à un infirmier, blessé, lui aussi avec une arme blanche.
« Nous avons affaire à des jeunes désocialisés qui se comportent comme si la loi de la bande était supérieure à celle de la République », estime Eugène Caselli, président PS de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole.
Quels moyens ont été mis en place ?
Le gouvernement Ayrault avait déjà renforcé les forces de l’ordre dans le département l’année dernière, avec l’arrivée de 175 policiers et 54 gendarmes supplémentaires. Par ailleurs, deux zones de sécurité prioritaires (ZSP) ont été créées. Préalablement, un nouveau préfet de police, Jean-Paul Bonnetain, avait été nommé en septembre 2012, à l’issue d’un comité interministériel consacré à la situation marseillaise.Il est chargé de déployer avec les autres services de l’État une « approche globale » dans la lutte contre la vente de drogue, en mêlant répression policière, occupation du terrain par les CRS durant plusieurs semaines et action sociale sur le long terme. Dix-huit cités sur les 40 identifiées comme « particulièrement sensibles » ont déjà été « traitées » selon cette méthode et deux autres doivent l’être à la rentrée.
Quels sont les résultats de cette politique ?
Même si Manuel Valls a souligné qu’il y avait eu moins de règlements de comptes cette année (11 ou 13 selon les calculs, contre 17 à la même époque en 2012), la succession des faits divers montre que les choses n’évoluent pas vraiment. Les interventions policières massives n’empêchent pas le trafic de reprendre. Mais les responsables de « l’approche globale » mettent en avant que l’étau des trafiquants s’est desserré dans certaines cités où la population vivait sous la coupe des dealers.Ils ont aussi quelques prises spectaculaires à leur bilan, comme à la Castellane, l’une des plus grandes cités de la ville. Cent kilos de cannabis, des armes automatiques et 1,3 million d’euros ont été saisis. Pour autant, les élus locaux en appellent une nouvelle fois à l’État. « Contrairement aux autres grandes métropoles, Marseille n’a pas de banlieues. Les cités – et leurs problèmes socio-économiques – sont dans la ville. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles », argumente Eugène Caselli, qui réclame, côté police, « des moyens d’investigation et des moyens techniques supplémentaires ».
Candidat à la primaire socialiste pour la municipale de mars prochain, lui-même promet de doubler les effectifs de la police municipale et, surtout, d’armer ses membres.
À droite, le député UMP Guy Teissier, maire des 9e et 10e arrondissements, réclame « 300 policiers de sécurité publique de plus ». Celui qui est aussi président d’Euroméditerranée, établissement public qui a permis la création d’un quartier d’affaires aux abords du port, demande à l’État de s’engager davantage sur le terrain de l’emploi et de la formation.
Il évoque, comme pistes, « une troisième zone franche urbaine, dans la vallée de l’Huveaune » et la création d’une « université des métiers » pour donner « une nouvelle chance à celles et ceux qui ont arrêté trop tôt l’école ».
----------------------------------------------------------------------------------------
Marseille, Une ville jeune et affectée par le chômage
D’après les données de l’Insee de 2009, la population à Marseille est de 850 602 habitants, pour 1 967 299 dans les Bouches-du-Rhône. La population de la communauté urbaine de Marseille Provence Métropole a augmenté de 22 % entre 1962 et 2008. En 2008, les moins de 30 ans représentent 37,6 % de la population marseillaise et les plus de 65 ans 17,7 %.
Le taux de chômage des 15-64 ans à Marseille en 2009 est de 17,3 % (dont près de la moitié de longue durée), contre 9,1 % en France.
Le revenu net déclaré moyen par foyer fiscal est de 20 579 €. Selon la Direction générale des finances publiques, un peu moins de la moitié (48,5 %) des ménages marseillais sont imposables.
En 2012, 26 % des habitants de Marseille vivaient sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 964 € par mois et par unité de consommation, d’après la Caisse d’allocations familiales des Bouches-du-Rhône.
PASCAL CHARRIER et DENIS PEIRON