Mayotte - Les relations Mahorais wazungu

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Sujet épineux, s'il en est, que celui des relations entre les deux communautés les plus visibles de Mayotte, les natifs de l'île (o...

Sujet épineux, s'il en est, que celui des relations entre les deux communautés les plus visibles de Mayotte, les natifs de l'île (ou de l'archipel) et les métropolitains. Marcel Séjour a décortiqué ces relations et nous livre le fruit de ses réflexions.
L'atelier de Marcel Séjour en 2010 dans sa période "Noirs et Blancs"
© E.T./Malango

Le dossier spécial du dernier Mayotte Hebdo traite des relations entre les Mahorais et les wazungu. On a déjà lu ça. L’année dernière un autre dossier spécial avait traité le même sujet et, n’en doutons pas, on pourra relire la même chose ou à peu près l’année prochaine. En gros entre les Mahorais et les wazungu les relations ne sont pas toujours cordiales. C’est très triste et les raisons de ce désamour sont à chercher pour partie chez les Mahorais et pour une autre partie chez les wazungu ; nous voilà bien avancés. Il y a des wazungu qui vivent en bonne intelligence avec les Mahorais et d’autres non. Et chez les Mahorais, le croiriez-vous ? C’est pareil ! Mais heureusement, et comme toujours dans Mayotte hebdo, il y a plein de raisons d’espérer que ça s’arrange. Il n’y a qu’à…, pour commencer, puisqu’il faut qu’on…, c’est évident ; et tout irait mieux si, si, si… si ma tante en avait, par exemple.

Ma lecture de la situation est différente et pour résumer à l’avance mon propos j’affirme que ce qui caractérise le regard du Mahorais sur le m’zungu c’est l’intérêt et la méfiance tandis que ce qui caractérise le regard du m’zungu sur le Mahorais c’est le désintérêt et la méfiance.

De l’intérêt naîtra la flagornerie ; du désintérêt naîtra le mépris. De la méfiance naîtra la peur. Peur du Mahorais d’être abandonné à un triste sort dans une région perçue comme hostile ; et peur d’être dominé. Peur du m’zungu qu’on ne l’aime que pour son argent et non pour ce qu’il est ; et peur d’être manipulé. Tous, je crois, voudraient bien que cet antagonisme latent ne débouche pas sur un conflit ouvert, nul n’a envie que les incidents violents d’octobre 2011 soient un avant goût de ce qui pourrait nous attendre. Pour éviter, s’il se peut, que l’opposition entre les deux populations ne devienne mortelle, ou pour s’y préparer s’il en était ainsi il convient d’en chercher les origines profondes. Celles ci sont au nombre de trois, à savoir l’argent, la couleur de la peau et la culture. Ce qui nous fait deux chapitres puisque couleur de peau et argent se chevauchent.
Dominant-dominé

Depuis que l’Homme domine et peuple la terre il y a toujours eu un dominant de passage qui a imposé son joug à un ou plusieurs dominés du moment. Lesquels dominés ont toujours rêvé de posséder la richesse du dominant ou tout au moins de l’en priver. C’est l’histoire des empires.

A supposer qu’aux Cieux ou aux Enfers les esclaves des Européens rencontrent les esclaves des Nubiens ils doivent certainement se raconter des histoires d’esclaves et s’ils parlent de leurs maîtres, ils s’accorderont à penser que rien de fondamental ne distingue Obama de Salomon ou Elizabeth II de la reine de Saba puisqu’aucun empire n’a jamais pu se faire sans esclaves. Mais avec les empires européens il est arrivé quelque chose de nouveau.
Lorsque Salomon pille le Zimbabwe c’est un africain qui spolie et domine d’autres africains. Lorsque Darius fait main basse sur Lahore c’est un aryen qui soumet un autre aryen. Lorsqu’Alaric assiège Rome et humilie Honorius c’est un administrateur blanc qui met à genoux un autre administrateur blanc. Jusqu’à la domination européenne la construction des empires s’est toujours faite principalement aux dépends de peuples contingents à la population dominante et la supériorité du conquérant était de culture, de ressources ou de nombre, jamais de race.

Une particularité intéressante de notre empire européen réside dans la domination durable imposée à tout un continent et donc la confusion que sa construction a établie entre la couleur et le statut. Le dominant est blanc, le dominé est noir. Le blanc est donc riche et le noir est donc pauvre. Le blanc enseigne et le noir apprend. Que cette généralisation soit abusive, nul n’en disconvient. Mais les siècles de domination et d’ostracisme ont façonné un archétype, chez les uns comme chez les autres, qui ne pourra disparaître de l’inconscient collectif que lorsque les noirs se verront comme des descendants d’africains et non plus comme des descendants d’esclaves. Ce qu’ils ne sont pas tous. En attendant ce jour encore lointain, il est tout à fait normal, au sein d’une société dans laquelle les blancs sont les plus riches, que les plus pauvres se rallient à la couleur qui les relie, même s’il y a des riches parmi eux. La simple couleur de l’autre devient alors un argument, une preuve, tous deux d’une lumineuse et indicible évidence et lorsqu’à la suite d’une départementalisation inutile Mayotte verra se multiplier, inévitablement, déceptions et rancœurs celles ci vont tout naturellement s’accrocher aux différences les plus immédiatement visibles et qu’y a-t-il de plus différent du noir que le blanc ? Conflits sociaux et conflits ethniques vont donc se confondre ce qui rendra leur solution d’autant plus difficile.
Différences culturelles

En quoi la culture de Mayotte diffère-t-elle significativement de la culture de la métropole ? Les Mahorais raffolent des mabawas, ça on sait, et les wazungu préfèrent les pommes de terre au riz, on sait aussi. Les wazungu mangent des escargots (répugnant !) et les Mahorais adorent le hérisson (pauvre bête !). Les wazungu ne mettent pas les doigts dans leur nez à tout bout de champ, même s’ils en ont souvent furieusement envie, et les mahorais ne passent pas leur temps à étaler leurs problèmes personnels sur la voie publique, même si ça peut les soulager. Pas de quoi fouetter un chat. En bref, ces différences culturelles dont on fait si souvent et si volontiers état dans la presse consensuelle sont des détails de la culture, comme il y a des détails de l’Histoire, des habitudes locales, avec lesquelles on a grandi, auxquelles on tient mais dont on peut se passer, au moins de temps en temps, pendant quelque temps et avec le temps. Rien là-dedans qui justifie ou explique un antagonisme latent et qui ne date pas d’hier.

Mais comment peut-on parler, à longueur de colonnes, de culture mahoraise sans parler de la religion à Mayotte? Ce n’est pas la société qui détermine une religion mais très exactement l’inverse. Sans religion point de culture. Sans Islam pas de culture mahoraise ; sans Christianisme pas de culture occidentale. Et l’on peut ajouter, à l’instar d’Hesna Cailliau, sans Indouisme pas de culture indienne, sans Confucianisme, Bouddhisme et Taoïsme pas de culture chinoise etc, etc. Etudier les rapports entre deux peuples de cultures différentes est vain tant qu’on n’étudie pas leur religion. Aucun mot sur la religion dans cette « étude » sur les relations mahoro-m’zungu. Rien sur les différentes façons d’envisager l’avenir, la propriété, ou de vivre ses relations au quotidien avec toutes les références religieuses qui façonnent et canalisent la vie du musulman. La grande majorité des prénoms, par exemple, sont tirés du Coran et bon nombre sont des déclinaisons de Dieu, de sa puissance, de sa miséricorde, de son éternité.

Je suis extrêmement inquiet des réactions à venir d’un Occident qui se radicalise à tout va parce qu’il ne voit aucune autre issue à son déclin. Rigueur, austérité, rationalisme exacerbé, bientôt puritanisme. C’est toute l’aile droite du monothéisme qui se durcit face à l’aile gauche que représente l’Islam. Je ne crois pas à un « choc des civilisations » parce que je pense qu’Islam et Christianisme font partie du même courant de civilisation, celui démarré par la croyance en un Dieu unique, courant dont fait également partie le Judaïsme. S’il y a conflit entre l’Islam et le Christianisme ce sera moins un choc des contraires qu’une opposition fratricide. Même s’ils croient tous en un Dieu unique, le musulman, le juif et le chrétien vont développer des manières différentes de correspondre avec Lui et avec le monde qui les entoure. Ces approches là sont le fait religieux et c’est le fait religieux qui est géniteur de culture, même si on ne s’en aperçoit plus et même si on veut à tout prix le forcer hors la vie publique, comme le veut la mode qui trotte en métropole.

Rien par exemple n’est devenu plus étranger, plus dérangeant, plus soupçonneux au m’zungu lambda que cet abandon à ce qui nous dépasse, symbolisé et contenu tout entier dans ce « Inch’Allah », « s’il plait à Dieu », perçu au mieux comme un abandon de responsabilité au pire comme une réserve prévoyant une rupture d’engagement. L’Occident tout entier se méfie de l’Islam, les Etats Unis en premier, et le petit Nicolas sur leurs traces. N’est-il pas curieux également que tous les pays musulmans soient subitement devenus, sous la plume de quasiment tous les journalistes, des pays « islamistes », avec toutes les connotations négatives que contient ce vocable ! C’est contre les musulmans que sont orientées nos lois sur la laïcité. En outre, petite lâcheté d’une société à court d’idéaux, être anti musulman permet à beaucoup de nos concitoyens et hommes politiques d’être féministes à peu de frais.

Raison, rigueur, questionnement infini, exaltation de la liberté individuelle nous auront permis de conquérir le monde ; fort bien. Cela nous aura aussi permis d’apporter à ce même monde la preuve indiscutable que les nations judéo chrétiennes auront été les plus envahissantes, les plus impérialistes, les plus colonisatrices de l’histoire de l’humanité ; ce qui est beaucoup moins bien. Les attentats islamistes, la destruction du World Trade Center ne sont finalement que la signification qu’il nous faut cesser, que nous sommes allés trop loin ; ignorer ces semonces comme l’ont fait Bush, Obama et notre Talonet’ Ier c’est contribuer à l’effondrement final de notre civilisation. Par manque d’idées, et par manque de générosité.
Et Mayotte dans tout ça ?

Mayotte va subir. Petite et éloignée comme elle est, que peut-elle faire d’autre ?
Les rapports entre les Mahorais et les wazungu ne vont pas s’améliorer ; comment le pourraient-il ? Tous vont être entrainés dans une spirale de revendications insatisfaites, de ressentiment et de violence. Il suffit d’une crise bancaire sérieuse, une de ces crises où on ne trouve plus de billets dans les gabiers par exemple, pour que Mayotte s’embrase. Le jour où Mayotte n’aura plus rien elle mettra les wazungu dehors. Elle se trouvera alors des points de convergence de vue avec ses cousins d’à côté. Un peu comme la Prusse de Bismarck auquel il aura fallu trois guerres pour faire son unité (contre l’Autriche, contre l’Italie et contre la France), peut-être faudra-t-il un ennemi commun pour que les quatre Comores deviennent une nation.

Pas besoin de faire quoi que ce soit pour cela. Il suffit de laisser la cupidité, la lâcheté et la couardise accomplir leur travail de sape et lorsque le dominant sera tombé il ne restera plus qu’à lui prendre ses bottes. Ça fera toujours ça de gagné.

Kem gwavenzé.Malango actualité

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