"J'achetais mon shit là-bas." Il y a quelques jours, ce commentaire à l'article sur le début de la démolition de la barre...
"J'achetais mon shit là-bas." Il y a quelques jours, ce commentaire à l'article sur le début de la démolition de la barre Balzac a attiré notre attention. Voir le trafic non pas par le regard des habitants qui le supportent, mais par ceux qui en usent nous paru intéressant. Deux semaines plus tard, nous mettions un prénom et un visage en lieu et place du pseudonyme "Cynoque" : dans une forêt de la région parisienne, loin de La Courneuve, mais près de chez lui, nous avons rencontré Raphaël, 33 ans, ancien client des dealers de la barre, devenu militant de la légalisation du cannabis.
La première fois qu'il prit le RER pour "La Courneuve-Aubervilliers" c'était il y a environ six ans. "On traînait à Bastille avec un copain, il m'a dit qu'il allait là-bas pour se fournir en shit, j'ai suivi. Et une fois sur place c'était tellement facile, que c'est devenu mon lieu d'achat habituel", se remémore-t-il. Le "commerce" de la barre Balzac avait selon lui trois avantages : d'une part, la barre étant juste à côté du RER et à deux stations de Paris, l'accès était facile.
Ensuite, plusieurs qualités étaient proposées à la vente. "Ça me permettait d'acheter selon mon budget. Quand j'étais fauché j'achetais du 'commercial', pas bon du tout, avec des substances de coupe très douteuses, mais pour 30 euros, on avait bien 10 grammes, et pour 10 euros de plus, on avait au moins 20 grammes. De meilleure qualité, il y avait le "semi-seum" - c'est eux-mêmes qui appellent ça comme ça - qui est une qualité intermédiaire à des prix encore acceptables. Et les bons jours je pouvais acheter du "seum" qui est très bon mais très cher - 10 euros les deux grammes environ."
Dernier avantage : les "vendeurs" étaient détendus et efficaces. "Tu te pointais dans le porche où il était écrit 'la maison ne fait pas crédit', là ils prenaient les commandes, ils attendaient qu'on soit une dizaine et appelaient celui qui avait la marchandise. En un quart d'heure on était servi ! Sans jamais de problème avec la police. C'était vraiment impressionnant à voir, super bien organisé, avec des quantités incroyables, un vrai supermarché du cannabis !"
Rien à voir avec sa mauvaise expérience à Sevran, une autre plaque tournante de trafic de drogue en Seine-Saint-Denis. "Il fallait monter dans les étages, jusqu'à un appartement précis où t'attendaient des types cagoulés, talkie-walkie à la main, c'était pas rassurant du tout".
"On ne se rend pas compte des nuisances causées aux habitants"
Avec vingt personnes tous les quarts d'heure, le commerce était lucratif, d'autant plus que le "supermarché" fermait plus tard que les commerces habituels : vers 23 h 30.
Selon lui, les flèches noires qui indiquaient la bonne cage d'escalier sont apparues aux 4000 parce que Balzac était en quelque sorte victime de son succès. "À un moment, il y avait vraiment trop de clients qui venaient. Des punks, des SDF crasseux, des mecs en cravate jusqu'à des touristes anglais qui j'ai croisés une fois. Donc les rabatteurs n'arrivaient plus à gérer tout ce petit monde dans la cité."
L'an dernier, lorsque les halls de Balzac ont commencé à être murés et que les dealers ont dû déplacer leur commerce, venir acheter est devenu moins tranquille. "Les flics passaient plus souvent. On devait attendre longtemps, les vendeurs devenaient paranos. Je me souviens d'une fois où on patientait au coin d'une rue, on devait être 6 ou 7, et une voiture de police est passée plusieurs fois avant de s'arrêter. L'agent nous a dit 'messieurs je vous invite à reprendre le chemin de la gare'. Ils savaient parfaitement pourquoi on était là !"
Venu maintes fois dans la cité, Raphaël avoue n'avoir jamais vraiment pensé aux nuisances que pouvait générer ce trafic pour les habitants du quartier. "Sur le coup on n'y pense pas. On achète, on repart. Bien sûr on croise des gens qui, eux, rentrent du boulot, mais on ne fait pas attention. Et surtout, je n'aurais jamais cru que des gens puissent encore habiter dans une barre aussi délabrée ! C'est en lisant votre blog l'année dernière que je me suis rendu compte que le fait d'être client pouvait avoir des conséquences pour la vie de ces gens", nous confie-t-il spontanément. "Mais, précise-t-il, j'en veux plus à la prohibition qu'aux dealers. L'État a dépensé des millions ces dernières années pour réprimer encore plus, et pour quelles conséquences ? Le trafic prospère et la consommation ne diminue pas, c'est dit par toutes les études." Selon l'observatoire français des drogues et des toxicomanies, la France compte 1,2 millions de fumeurs réguliers (dix fois par mois) et 550 000 consommateurs quotidiens de cannabis, des chiffres élevés, mais stables.
"Légaliser permettrait aux petits consommateurs dans mon genre de ne pas courir des risques inutiles et éviterait de pourrir la vie des gens de ces quartiers. Sans compter ce que cela pourrait rapporter à l'État !" Un milliard d'eurosselon l'économiste Pierre Kopp. Le monde
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