PARIS — Deux ans après le crash d'un Airbus de Yemenia au large de Moroni, il est possible d'expliquer les causes de l'accident,...
PARIS — Deux ans après le crash d'un Airbus de Yemenia au large de Moroni, il est possible d'expliquer les causes de l'accident, affirment les enquêteurs français. Mais les autorités comoriennes tardent à les rendre publiques sous la pression du Yémen, selon des sources concordantes.
Ces conclusions sont pourtant cruciales: d'une part pour améliorer la sécurité aérienne mais aussi afin d'indemniser les familles de victimes.
Sur les 153 personnes à bord, seule une adolescente de 14 ans a survécu. Partis de France, les passagers avaient changé d'appareil à Sanaa, au Yémen, pour embarquer dans un A310, vieux de 19 ans.
Les boîtes noires de l'appareil "ont été retrouvées dans les semaines suivant l'accident et le travail d'enquête devrait maintenant être abouti (...). Or il n'en est rien", a expliqué à l'AFP Jean-Paul Troadec, directeur du Bureau français d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA).
Depuis plusieurs semaines, des voix s'élèvent en France dénonçant l'enlisement de l'enquête, menée par Moroni, l'accident s'étant produit dans les eaux comoriennes.
Le ministère des Transports a déploré le manque de coopération des enquêteurs comoriens et dénoncé de "graves entorses" aux règles de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI).
Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, décrit quant à lui "une situation tout à fait anormale et choquante", dans une lettre adressée au président du groupe d?amitié France-Comores à l?Assemblée, le député socialiste Daniel Goldberg, dont l'AFP a obtenu copie.
Le BEA sait mais ne peut rien dire
L'enquête piétine. Pourtant, les Français ont transmis aux Comoriens des éléments qui "permettent de pouvoir comprendre l'événement", selon M. Troadec.
Moroni a bien publié un rapport d'étape en juin mais ce document se borne à rapporter des faits déjà connus, insiste-t-il.
Le problème est que seuls les Comoriens sont habilités à communiquer sur l'enquête. Et "le BEA ne veut pas rendre publics les éléments dont il dispose, sinon plus aucun pays n'acceptera qu'il participe aux enquêtes", souligne un expert du secteur.
Le BEA collabore à toutes les enquêtes impliquant un appareil de l'avionneur européen Airbus et des passagers français.
La France a dépensé trois millions d'euros, notamment pour mener les recherches permettant de retrouver les boîtes noires. C'est ensuite le BEA qui a été chargé d'analyser leur contenu.
Un appareil contient deux boîtes noires: l'un enregistrant les paramètres de vol (vitesse, altitude, trajectoire, etc.), l'autre contenant conversations et autres sons dans le poste de pilotage.
Le BEA a pu lire l'enregistreur de paramètres dans son intégralité mais l'enregistreur sonore en partie seulement. Néanmoins, les éléments récoltés suffisaient à comprendre le drame, selon son directeur.
"Mais il y a eu des demandes du côté yéménite de relecture de ces enregistreurs dans un laboratoire autre que celui du BEA", ajoute M. Troadec, le Yémen s'appuyant sur le fait que deux mémoires de l'enregistreur sonore n'avaient pas pu être exploitées.
Ces mémoires ont alors été transmises à un laboratoire américain mais ce dernier n'a pu lire qu'une des deux mémoires. Or le Yémen exige que soit extraite la dernière mémoire avant de tirer les conclusions de l'enquête.
"Mais à ce jour il n'a pas été possible de trouver un laboratoire pour le faire", indique la présidence des Comores dans une lettre adressée à Daniel Goldberg et que l'AFP s'est procurée.
Le député avait écrit en mai au nouveau président de l'Union des Comores, Ikililou Dhoinine, pour tenter de faire avancer les choses.
"Erreur de pilotage" en toile de fond
"Pour le moins, le Yémen ne fait pas preuve d'une entière bonne volonté afin qu'on obtienne le résultat de l'enquête", remarque M. Goldberg.
"Et je ne souhaiterais pas apprendre a posteriori que, si cette mauvaise volonté était avérée, ce serait pour protéger les intérêts commerciaux de Yemenia", ajoute-t-il.
Mercredi, la France, par l'intermédiaire du porte-parole du Quai d'Orsay, a appelé "les autorités comoriennes, ainsi que le Yémen (...) à faire preuve de bonne volonté".
Un rapport partiel d'experts judiciaires, remis en début d'année, avait relevé "des erreurs manifestes de pilotage".
"Ce serait une erreur de pilotage", a confirmé à l'AFP une source proche du dossier.
Et si le Yémen réussit à freiner les enquêteurs comoriens, c'est probablement grâce à des liens privilégiés, sur le plan économique notamment.
La compagnie française Air Austral souhaitait par exemple ouvrir une liaison directe Paris-Moroni. Mais les Comores proposaient un prix du carburant "trop cher", raconte M. Goldberg. Et quand le député leur a demandé combien Yemenia payait son kérosène: pas de réponse...
Interrogé par l'AFP, le directeur de Yemenia en France, Faisal Emran n'a pas souhaité répondre aux questions concernant l'enquête, ajoutant "que les avocats et les compagnies d'assurance avaient commencé à indemniser les familles". "De manière très faible", a tempéré le député.AFP
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