Cyrus Vance Jr (à gauche), procureur du district de Manhattan, 55 ans, fils de l'ancien secrétaire d'Etat de Jimmy Carter, représ...
Cyrus Vance Jr (à gauche), procureur du district de Manhattan, 55 ans, fils de l'ancien secrétaire d'Etat de Jimmy Carter, représentant de l'establishment blanc et protestant (Wasp), toujours affable et bien élevé, à l'apparence réservée. Benjamin Brafman (à droite), avocat, 62 ans, juif conservateur, charmeur, expansif, doté d'un solide sens de l'humour, tacticien pugnace. Il est secondé par William Taylor, autre ténor du barreau. (D Dipasupil/Wireimage/Jewel Samad/AFP)
Dominique Strauss-Kahn doit à nouveau comparaître lundi devant la justice
Dans deux jours, Cyrus Vance Jr sera dans l'arène pour superviser ce qui pourrait bien être le procès le plus important de sa carrière de procureur en chef du district de Manhattan. Alors qu'il occupe ce poste depuis à peine deux ans, son bureau, considéré comme la Rolls- Royce de l'institution judiciaire américaine, aura pour difficile tâche de mener la charge contre Dominique Strauss-Kahn, dans le but de le faire condamner pour agression sexuelle à une peine pouvant potentiellement aller de vingt-cinq à soixante-quinze ans de prison. Deux de ses procureurs les plus chevronnés ouvriront le feu roulant des arguments pour formuler les lourdes accusations qui pèsent contre l'ancien directeur du FMI, personnalité ultracélèbre de la scène politique française, accusé de tentative de viol et de violence sexuelle sur la personne de Nafissatou Diallo, la femme de chambre d'origine guinéenne qui a porté plainte contre lui.
Vance, ancien avocat, est procureur de New York depuis 2009
Dominique Strauss-Kahn, qui a proclamé son innocence dans une récente lettre au FMI, sera dans le box des accusés. A ses côtés se tiendra Benjamin Brafman, l'avocat new-yorkais de renom qui assure sa défense, avec l'aide de William Taylor, un avocat washingtonien réputé qui connaît DSK de longue date. Sur cette scène théâtrale qu'est toujours, d'une certaine manière, la justice, ce sont ces deux hommes d'expérience, tacticiens redoutables, rompus à ce type de procès hautement médiatisé, qui monteront au combat pour s'y heurter aux «soldats» de Cyrus Vance. En principe, la défense annoncera que l'accusé plaide non coupable, ce qui ouvrira la longue route d'un procès, à moins qu'une transaction n'ait lieu ou que, coup de théâtre, la plaignante ne décide d'abandonner ses poursuites. Si le procès est maintenu, la bataille s'engagera à coups de mots, de bilans ADN, de résultats d'enquêtes et de bilans scie.tifiques contradictoires pour de longs mois. Un combat de titans. Vance contre Brafman et Taylor. Dans le jeu de la procédure contradictoire qui est l'essence de la justice américaine, ce sont ces deux forces, l'accusation et la défense, qui seront face à face.
Toute sa vie, le procureur du district de Manhattan, Cyrus Vance Jr, a tenté de prouver qu'il n'était pas seulement le fils de son père, cet ancien secrétaire d'Etat de Jimmy Carter, avisé et intègre, dont les conseils avaient été écoutés par tant de présidents américains et bien sûr par ses quatre sœurs et lui-même, le petit dernier si aimé. Toute sa vie, ce fils affable et bien élevé de la côte Est s'est efforcé, malgré sa relation privilégiée avec son diplomate de père, de démontrer que sa carrière ne serait pas seulement affaire d'héritage, qu'il ferait plus qu'utiliser les réseaux de «bons vieux garçons» («good old boys») qui ont scellé - et continuent partiellement d'assurer - la puissance de l'establishment blanc et protestant américain (Wasp). Mais malgré les longues années qu'il est allé passer à l'autre bout du pays dans un cabinet d'avocats privé de l'Etat de Washington, à Seattle, pour échapper à l'ombre tutélaire du paternel, de 1988 à 2004, l'argument lui a souvent été renvoyé à la figure, pendant sa récente campagne de 2009, il y a deux ans, quand il est revenu à New York pour y briguer le poste de procureur du district de Manhattan. S'il a gagné, c'est grâce à ses réseaux et à l'appui de Robert Morgenthau, véritable légende de l'institution judiciaire new-yorkaise, qui a trôné à ce poste pendant plus de trente-cinq ans, ont eu beau jeu de répéter ses adver- saires. Cyrus Vance a d'ailleurs reconnu qu'il y avait là une part de vérité. «Cette victoire n'est pas la mienne mais la vôtre», a-t-il lancé avec l'élégance d'un vrai gentleman au vieux Morgenthau, 90 ans, très ému de quitter son poste.
Moment de vérité pour le procureur de New York
De ce point de vue, le moment de vérité de Cyrus Vance Jr est peut-être enfin arrivé avec l'affaire Strauss-Kahn. Car ce procès, il va enfin pouvoir l'affronter en première ligne, sans tuteur. Sans Morgenthau, toujours en activité dans le privé (!), mais avec lequel il se serait brouillé récemment selon certaines sources. Et sans son père, aujourd'hui décédé.
Véritable roman balzacien racontant l'histoire d'une chute vertigineuse, l'affaire Strauss-Kahn, qui rappelle aussi Le Bûcher des vanités, célèbre roman de Tom Wolfe, lui offre l'occasion rêvée de prouver ce dont son bureau est capable. Voire peut-être d'imposer son nom dans la légende d'une histoire judiciaire new-yorkaise qui, pour mouvementée qu'elle soit, offre rarement l'occasion d'un scénario pareil. Cette affaire stupéfiante, où, dans la conscience populaire au moins, se mêlent l'argent, le pouvoir, le sexe, la race et la diplomatie, a fait la une des journaux du monde entier.
Une victoire lui ouvrirait les portes de la Mairie
Elle sera suivie à la loupe de la Maison-Blanche aux chancelleries d'Europe, en passant par les riches quartiers de la 5e Avenue, les bas-fonds du Bronx et les banlieues d'Afrique. Elle pourrait voir tomber l'homme que nombre de Français voyaient déjà succéder à Nicolas Sarkozy à l'Elysée. S'il réussit à faire condamner l'accusé, Vance deviendra aux yeux de l'Amérique le tombeur du riche «satyre français»; le redresseur de torts des femmes pauvres et sans défense, un thème qui lui est cher. Une telle victoire serait susceptible d'ouvrir au procureur de 55 ans un nouveau mandat; voire les portes de la mairie de New York, vers laquelle son poste est souvent un tremplin.
Cyrus Vance a parfois été accusé de ne pas être assez battant. Pendant sa campagne en 2009, il avait même frappé ses adversaires par une certaine nonchalance, une sorte de répulsion à se mettre en avant. Mais ses partisans affirment que l'apparence réservée de cet homme au teint un peu rouge, aux cheveux poivre et sel et aux lunettes d'écaille toujours posées sur le nez, ne signifie nullement qu'il n'est pas l'homme de la situation. Le pouvoir et la politique, si présents en toile de fond de ce dossier «franco-américain», il connaît par cœur et ne sera sans doute nullement impressionné par la stature de l'accusé, qui avait pour tâche de sauver les Etats en détresse financière. A l'âge de 6 ans, lorsque son père quitta New York pour Washington et la grande politique, Cy Vance, comme on l'appelle, sautait déjà sur les genoux des puissants. Un jour où son père l'avait emmené dîner à la Maison-Blanche, il reçut même du président Lyndon Johnson, toujours en pyjama, un couteau suisse, racontera-t-il plus tard au New York Times. Baigné dans une ambiance d'élitisme, Cyrus a aussi reçu son éducation dans les meilleures écoles, passant par Yale avant de rejoindre la Law School de Georgetown sur le conseil de son père. Une formation qui allait lui permettre de rejoindre l'équipe du procureur du district de Manhattan, où il a fait preuve, selon ses collègues, d'intelligence et d'intégrité. Il y découvrira le thème, pour lui central, de la prévention des violences domestiques avant de rejoindre finalement le prestigieux département des affaires de crime organisé, puis d'aller tenter sa chance dans le privé à Seattle, où il se spécialisera dans la défense des criminels en col blanc. «C'est un juriste fantastique et un homme de principes, ses instincts sont excellents», dira de lui Thomas Duane, sénateur de l'Etat de New York, quand il entrera en lice dans la course de 2009. «On retrouve son père dans sa manière, son style», ajoute Eliot Spitzer, ancien gouverneur de New York, qui a travaillé avec lui.
Mais la grande force de Cyrus Vance vient aussi, aujourd'hui, de l'équipe très professionnelle qui l'entoure. Avec près de 500 employés et 75 millions de dollars de budget, le bureau du procureur de Manhattan est une énorme machine qui bénéficie de la puissance de la police de New York et de procureurs aguerris. Deux procureurs femmes y ont été appelées récemment à prendre en main le dossier DSK. Chef de l'unité des crimes dits de «haine», Joan Illuzzi-Orbon vient tout juste de faire condamner Natavia Lowery à vingt-cinq ans de prison pour le meurtre d'un agent immobilier en vue. Spécialiste des crimes sexuels, Ann Prunty, que certains décrivent comme «une garce» impitoyable, mais très efficace, s'est fait remarquer pour sa gestion sans faille de l'affaire Robert Williams, condamné à quatre cent vingt-deux ans de prison en 2008 pour avoir violé et torturé une étudiante de l'université Columbia. «Je les connais toutes les deux, elles sont très fortes», affirme au Figaro Magazine Leslie Crocker Snyder, une ancienne juge, qui a été la concurrente de Cyrus Vance dans la course au poste de procureur du district. «Dans l'ensemble, cette équipe est très professionnelle», ajoute cette ex-procureur, qui a été dans les années 70 l'une des premières à instruire des crimes sexuels et qui a largement contribué à écrire les lois les concernant. «Dans une affaire très en vue comme celle-là, un bureau de ce niveau sait regarder les preuves. Jusqu'ici, la manière dont il se comporte donne l'impression d'une affaire très solide, même si cela ne veut pas dire qu'ils vont gagner», dit Snyder, parlant d'une issue «imprévisible».
Surtout quand on est face à un avocat de la trempe de Benjamin Brafman, qui sera en première ligne pour défendre DSK, s'empresse-t-elle d'ajouter. Les compliments fusent de toutes parts à son sujet. «Excellent, l'un des meilleurs», note par exemple l'avocat new-yorkais Evan Barr, jugeant que l'accusé pouvait difficilement mieux choisir. «Il connaît tout de ce type de crime», rappelle-t-il, évoquant son expérience au service de Michael Jackson, accusé de crimes sexuels contre des mineurs. «Brafman peut sortir un lapin d'un chapeau, ajoute Leslie Crocker Snyder, qui le connaît bien et affirme que, malgré son caractère "égocentrique", il a cette capacité à vous convaincre de le suivre là où il veut aller! Il a un talent incroyable. A la fin, vous ne pouvez que l'aimer.»
Si Cyrus Vance est un pur produit de l'establishment Wasp, son adversaire Benjamin Brafman est un juif conservateur né à Brooklyn, et qui a grandi dans l'admiration et la mémoire de ses parents survivants de l'Holocauste. Il a gardé de ce miracle de la survie le sentiment qu'il fallait « rendre » à la vie ce qu'elle lui avait donné en cadeau. Charmeur, expansif, volontiers émotionnel, Benjamin Brafman, un petit homme aux cheveux gris mi-longs rejetés en arrière, qui soigne son apparence, est un séducteur, qui n'en garde pas moins la tête froide et construit impitoyablement les éléments de sa défense. Ce tacticien pugnace, qui a défendu maintes stars du show-biz comme la vedette de hip-hop Sean Combs, mais aussi de nombreuses personnalités du sport, de la politique et de la pègre, a l'avantage de ne jamais se démonter devant les armées de micros, de caméras et de journalistes attirés par la chute des célébrités qu'il défend. Sa maîtrise de la presse devrait l'aider particulièrement dans le cas si médiatisé de l'affaire Strauss-Kahn. Il est apparemment passé maître dans l'art de rallier les jurés à sa cause, parvenant à auréoler ses clients de sa propre crédibilité, notait en 1998 un procureur dans un long article paru dans le New York Magazine. Doté d'un solide sens de l'humour, Benjamin Brafman en joue autant que faire se peut lors de ses plaidoiries, évoquant sans complexes sa petite taille ou les défauts de ses clients.
Il pleure parfois lorsque ses clients sont condamnés
Il semble entretenir avec eux des relations affectives, ce qui ne l'empêche pas de les sermonner et de leur opposer des refus catégoriques s'il l'estime nécessaire. «L'essentiel est de garder le contrôle de la défense», a-t-il l'habitude de dire. Mais il lui est arrivé de pleurer quand ses clients ont été condamnés ou au contraire acquittés.
Le célèbre avocat est secondé par William Taylor, autre ténor du barreau venu spécialement de Washington, où il a défendu maints politiques poursuivis notamment pour des problèmes d'éthique ou de corruption, dont l'un des chefs de l'administration présidentielle de Bill Clinton. Lui aussi est un habitué des feux de la rampe. «Les forces en présence sont également redoutables, le combat est égal, confie Leslie Crocker Snyder. Les deux parties sont très professionnelles et très bien outillées. La défense aussi a la possibilité de mobiliser d'énormes moyens.»
La bataille n'en est que plus imprévisible. L'acquittement contre toute attente de deux policiers accusés de viol sur une femme ivre, il y a quelques jours, a mis en évidence, si besoin était, «la grande difficulté d'obtenir des condamnations pour ce type de délits», note Leslie Snyder. «C'est mieux qu'avant. Dans le passé, on pouvait carrément interroger la victime sur le nombre d'hommes qu'elle avait fréquentés et des tas de détails totalement inacceptables, ce n'est plus le cas. Mais il demeure qu'elle reste considérée comme suspecte. Le principe de la présomption d'innocence fait que nul ne sera condamné si l'accusation n'apporte pas la preuve irréfutable de ce qui s'est passé», dit-elle. Parce qu'ils le savent mieux que tout autre, Vance et Brafman affûtent leurs armes en attendant le combat. « Le test du courage est de s'en tenir à ses convictions même quand cela est impopulaire et que vous risquez votre position », disait Cyrus Vance Jr en 2002. Il n'était pas dans une salle d'audience, mais en train de prononcer l'éloge funéraire... de son père.source:le Figaro
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