Martyrs de 1987

Hommage ce 31 décembre aux insurgés de 1987. Arrêtés, puis torturés, mutilés et mis à mort, avec la complicité de certains des leurs, ils f...

Hommage ce 31 décembre aux insurgés de 1987. Arrêtés, puis torturés, mutilés et mis à mort, avec la complicité de certains des leurs, ils furent les héros d’une guerre silencieuse contre la garde prétorienne de feu Abdallah, avec les chiens de Denard à sa tête.
Que l’on veuille se rappeler à leur bon souvenir est un signe des temps. Un signe de dégel, aussi. A croire que les mémoires vont se libérer et que nous allons reconstituer le puzzle, enfin. Sans doute que des vérités amères vont éclore dans les récits à venir. Car voilà le plan. A Magudju, à Moroni, des voix s’élèvent pour dire le massacre des insurgés de 1987. Boina Idi, Ali Adili, Iburoi Gaya sont les victimes les plus connues de cette tragédie. Magudju a réuni personnalités politiques et habitants du quartier pour en parler. La fameuse histoire d’une bande de têtes brûlées, qui, un beau jour, décide de s’attaquer à la morgue des mercenaires. Parmi eux, des anciens de la garde, des forces armées, des vétérans. Leur projet ? Libérer les militaires enfermés dans les hauteurs d’Itsundzu, suite à l’affaire de mars 1985, puis partir affronter ce que la population assimilait à des « saigneurs » de la pire espèce : « matrisa damu ».
Les invités à la cérémonie (DR)
Cette histoire est connue, même si peu de gens souhaitent, aujourd’hui, en causer, ouvertement. Une tendance bien courue dans ce pays où l’on confie ses peines et ses tragédies au noir de la lave, plutôt qu’aux oreilles des hommes au tribunal. Eledza l’bwe ! Une manière somme toute d’anéantir toute velléité de débat, le risque étant de réveiller les démons encore cachés sous les lits. Ils sont donc nombreux à avoir peur des questions qui fâchent : vous étiez où dans la nuit où les hommes de Denard ont tronçonnés le corps de ce pays, afin de faire taire toute graine de révolte sur le territoire embastillé ? Vous n’y étiez pas, mais peut-être que le lendemain, vous auriez pu descendre dans les rues, de manière à faire entendre l’ignominie. C’est de là que provient cet autre questionnement, porté par Mohamed Ali Mroimdji, professeur de philo au lycée de Moroni, chargé de dresser un discours, ce 3& décembre, au nom des des oubliés.

« Qu’allons-nous raconter à nos enfants ? Que nous avons été un peuple digne, libre, souverain ? Quiconque méconnaît son histoire ne peut se projeter dans l’avenir. Kadjidji mbwa. Une expression comorienne que vous connaissez, sans doute. Kadjidji mbwa. Comment expliquer à ma fille de vingt ans qu’il fut un temps dans ce pays, où l’on osait à peine relever la tête et regarder le blanc descendre de sa jeep militaire à Badjanani ? C’était hier. En 1987 ». A-t-on le droit de s’asseoir sur les restes de cette histoire, comme pour un tahlili à plusieurs enveloppes ? Dans l’esprit du Comorien, le mercenariat ramène à un temps de reddition. Et même nos grands discoureurs préfèrent se taire, dès lors qu’il s’agit d’expliquer « ce qu’ils ont subi durant les fameuses douze années, où cet imposteur de Denard a régné sur l’imaginaire national, avec sa garde prétorienne, au service du régime Abdallah ». Combien sont-ils à avoir témoigné de notre silence, s’exclame Mroimdji ?

« Feu Boina Idi, feu Ali Adili, feu Ibouroi Gaya ne doivent pas être morts pour rien », selon lui. « Ils sont morts pour cette dignité que je dois à ma fille. Pour notre liberté. Notre souveraineté. Notre intégrité à tous ». Il cite alors les Ateliers de la pensée à Dakar et le travail des artisans d’une nouvelle histoire des Afrique(s), qui, souvent, évoque les « défaites heureuses ». « Car il est des défaites qui construisent un pays. Celle de Boina Idi, de Ali Adili, de Iburoi Gaya, tragiquement assassinés, en est une ! Si nous acceptons, bien sûr, d’en faire nos héros ». Le hic, en effet, se situe là ! Un peuple défait peut-il admettre que certains de ses enfants, issus de la chair de sa chair, puissent soutenir le regard du maître, en dépit du renoncement qui le ronge ? Les insurgés de 1987 ont osé attenter à la vie du maître. Tant qu’à être lâche, soyons-le tous, murmurent certains, le cœur bien engoncé dans leur kandzu. Sauf que Magudju se refuse, désormais, à cet état d’esprit. En remuant le passé, en inscrivant dans un continuum de luttes Boina Idi, Ali Adili, Iburoi Gaya, en rappelant, au passage, l’histoire de figures telles que Masimu, Mtsala et Patiara, qui se sont refusés à la pénétration coloniale, ou même Kari, l’homme qui figea sa longue sagaie dans la poitrine de Humblot, Mroimdji instille l’idée qu’il y eut aussi des « défaites heureuses » dans nos silences face à l’occupant. Et tant pis pour les traitres, qui se reconnaitront, a-t-on envie d’ajouter.

Reste à savoir pourquoi nos historiens ne s’intéressent que trop peu à cette tragédie ? « Une poignée de mercenaires a écrasé tout un peuple, le pressant comme un citron dans un verre d’eau, transformant ce pays en une prison à ciel ouvert. Des hommes ont été dénoncés par leurs proches, arrêtés par leurs semblables, humiliés, emprisonnés et torturés, sans qu’aucun citoyen de ce pays ne puisse s’y opposer. Certains, parmi vous, connaissent la triste et fameuse histoire de mars 1985, épisode durant lequel nous avons vu la jeunesse de ce pays subir une violence jamais vécue auparavant sous nos tropiques. On sait ce qui est arrivé depuis. Naffioun Zarkache, le camp de Voidjou, Moustoipha Said Cheik, ses camarades. Mais combien sont-ils à avoir réellement écrit sur cette tragédie ? Ce qui nous amène sur cette place, aujourd’hui, et vous le savez tous, c’est la mise à mort de certains de nos frères en 1987. Froidement assassinés, pour avoir voulu se débarrasser de la mauvaise graine, des chiens de Denard, des mercenaires, au nom de ce pays », déclarait Mohamed Ali Mroimdji.
Mouzawar, un homme politique, Alyani, un notable, Omar, un juge, Idriss un activiste, à la commémoration (DR)
A Magudju, ce dimanche 31 décembre, le discours était donc on ne peut plus clair. Le temps est venu de retisser du récit sur le corps des victimes du sinistre Robert Denard. Cette journée, en hommage à Boina Idi, Ali Adili, et Iburoi Gaya, a résonné comme l’amorce d’un immense chantier. « Un grand chantier, grâce auquel nous envisageons de collecter la mémoire encore vivante de cette tragédie de 1987, de la restituer sous la forme d’un livre, d’ici un an. Nous espérons ainsi reparler de cette histoire d’une manière beaucoup plus rationnelle, afin de permettre aux générations futures de saisir la complexité de nos vécus passés. Et ainsi se termine mon discours, qui n’est que le début d’un long récit à venir », concluait Mroimdji, sous la pluie. « Il est si rare d’entendre le Ciel bénir une telle entreprise en nos îles que la fine pluie de ce dimanche 31 décembre finit par figurer un signe évident de sa bonne volonté »commentait-on dans le public. Les corps mutilés des insurgés de 1987 lui en sauront gré, à lui et à ses amis…

Soeuf Elbadawi
Par MUZDALIFAHOUSE
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