Quid du destin commun?

L'autre visage de la psychose anti comorienne

Les esprits s’excitent sur les assises de la dernière chance, impulsées grâce au mouvement dit du 11 août. Sont-elles un moyen de coercition au service d’un homme d’Etat, à qui l’histoire ne donne pas forcément crédit sur les questions de souveraineté nationale, ou l’occasion de s’interroger sur les manquements d’une élite aux affaires, travaillée jusque-là par sa seule survie ? Et si l’on en profitait pour repenser le destin commun ? Que signifie encore l’Être-ensemble dans cet espace ?

Plus de 40 années depuis que le mot « indépendance » a été lâché, et toujours la corde au cou ! Les Comoriens – au sens de l’appartenance archipélique – n’ont le choix qu’entre le fait d’être départementalisé ou non, désormais. A moins d’être aveugle, le citoyen sait qu’une tutelle étrangère continue à faire son beurre sur les deux rives d’une même histoire.

Ce qui a réellement changé, c’est cette capacité que le riverain a à se substituer à celui qui, dans l’arrière-salle, tient le couteau, pour reprendre l’expression de feu Abdallah, parlant de l’archipel comme d’une barbaque à dépiauter : « Nous sommes la viande, vous êtes le couteau ». Il s’adressait, clairement, à la France. Mais il apparaît plus simple à beaucoup d’imputer au Comorien la responsabilité de sa propre déchéance, aujourd’hui. Du passé, faisons donc table rase…
L'autre visage de la psychose anti comorienne ©DR
Les enfants d’une même fratrie ont si bien appris à se haïr sur les bancs de la colonie que plus personne ne songe à dire l’irréparable. Nous avons atteint ce point de non-retour. Ce moment du récit, où tout bascule dans l’horreur. Ils sont si peu à s’en rappeler, mais Mchangama (Archipel), face à la sécession de 1997, avançait déjà ce constat implacable : « Il est des blessures qui blessent et des blessures qui restent. Des blessures qui s’effacent et d’autres qui se nourrissent du temps et deviennent le tissu de la mémoire. Une brisure dans l’histoire d’un pays et des individus. De cette histoire, la nôtre, que les hommes, les Comoriens, ont encombré de toutes les lâchetés […] demain… Ces images de honte et d’humiliation, d’aujourd’hui, dessineront comme des cicatrices dans la conscience des générations futures ».
Cette maudite pancarte, évoquant un génocide sur la Place de la République à Mamudzu, afin de donner raison à un homme politique, Bacar Ali Boto, qui en appelle à la guerre civile contre sa propre fratrie, a de quoi semer la panique dans les esprits. Gevrey, Faurec, Humblot, Passot et autres Andriantasuli, avec le soutien d’une bande de sultans défroqués, nous ont concocté de micros identités, grâce auxquelles nous nous tricotons, à notre tour, des particularismes bien nocifs. Sous leur emprise, nous sommes devenus « mahorais », « anjouanais », « mohéliens » et « grands-comoriens », sans nous interroger le moins du monde sur le sens et la portée d’un storytelling anéantissant l’Être-ensemble, dont nous nous réclamons, pourtant, dans l’intimité.

L’absence de recul sur nous–mêmes expliquerait-il ce confort dans lequel nous nous laissons prendre (ou compromettre ?), en confondant le pays avec les quatre fragments inégaux d’une triste et mauvaise lune ? « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal »[1] disait Hannah Arendt. Et il y a longtemps que nous avons cessé de penser nos réalités. De croire en l’émancipation d’un peuple. Depuis Ali Soilih – un homme seul peut-il parler au nom de tous ? – nous manquons de résolution pour affronter nos propres limites. A peine si nous nous posons la question de savoir comment ce pays, conçu par des gens qui ne savaient plus où aller – des réfugiés avant l’heure – a pu survivre aux déluges passés. Si nous le faisions, nous saurions peut-être que les Anciens, pour s’en sortir, ont dû s’inventer une dynamique du cercle renouvelé (le shungu), au sein de laquelle les questions de mémoire et de paysage (qui se posent encore à nous) pouvaient ne pas se résumer à ce que nous sommes devenus (des êtres de chair refaçonnés à l’aune d’une occupation), mais plutôt à ce que nous sommes tous en droit d’espérer (des êtres libres).

Nous le savons, pourtant. En dehors du shungu, qui continue d’irriguer chaque manifestation de la vie commune (anda, vule, ngoma, ou encore dalao), les souvenirs partagés à l’échelle des 70 dernières années ne charrient que du négatif. Il paraît essentiel de comprendre comment nos ancêtres se sont re bricolés une existence en ces lieux. En provenance de l’Afrique de l’Est, de l’Indonésie, du Gudjarat, du Chiraz, du Hadramaout ou même de Lisbonne, ils n’ont eu, en effet, qu’une seule issue, pour noyer les démons à leurs trousses, c’est l’invention de cette utopie, appelée shungu. Partant du sentiment que la terre, ses djinns et ses volcans en rut, devaient les accepter, ils ont élaboré cette manière de faire corps, ensemble, pour renouer avec leur humanité perdue. Le shungu se fonde sur la générosité, le don et le contre-don. Une perspective du « donner » et du « recevoir », à travers laquelle les hommes – qui ne le devenaient, pratiquement, qu’en contribuant à l’érection du « nous » – et leurs symboles – depuis le village – traduisaient une même nécessité de bâtir une société d’égalité.
Une fiction ? Sans doute ! La meilleure qui puisse être pour des êtres aussi démembrés que nous ! L’idéal du shungu – à ne pas confondre avec celui du djumbe, le palais, le pouvoir – ne se concevait qu’en termes de rapport étroit et d’alliances entre les riverains de ces îles. Nos ancêtres se savaient tributaires d’un même récit qu’aucun politique ou intellectuel résilient n’a, cependant, su renouveler. Nous sommes ainsi devenus les orphelins d’une histoire commune, sur laquelle n’ont capitalisé que des yeux étrangers, souvent mandatés par une tutelle étrangère. Ce sont eux qui nous apprennent à dire qui nous sommes. Revoir la perspective demande donc à ce que l’on échappe à leurs grilles de lecture, pour intégrer une complexité, sociale, politique, culturelle, où l’on en finit avec ces identités à territoire limité, qui épuisent nos forces et qui empêchent de reprendre l’initiative sur notre destin fracasse.

Pour qu’un nouvel élan se manifeste, il faudrait en finir avec le sentiment de défiance ambiant, retrouver ce qui rassemble, renouveler jusqu’à notre sens du commun, et surtout ne plus dépendre du rêve de l’Autre, surgi de l’ailleurs, non pas pour trouver refuge parmi nous, mais pour prendre possession de l’âme d’un pays, afin de satisfaire à la volonté de puissance. L’urgence est donc de repenser notre rapport à cet espace, comme à un monde nous appartenant, tout en demeurant ouvert à l’arrivant, comme ce fut le cas par le passé. Ce qui implique de réinterroger notre souveraineté, de trouver le moyen de s’affranchir de la tutelle. Car nous nous promenons toujours avec cette vieille corde au cou, et pour les mêmes raisons qu’au 19ème siècle. Il est un fait indiscutable ! Le mensonge et le déni ne nous aident pas à nous reconstruire. Et il nous faut aussi apprendre à brusquer ce monde qui nous a endormi, pour en fabriquer un autre à la place. Déconstruire l’étant pour pouvoir imaginer d’autres possibles.
LE VISAGE D’UNE JEUNESSE COMORIENNE EN ATTENTE DE RENOUVEAU. LORS D’UNE RENCONTRE À DAANI, MIRONTSY © G. BASTIDE I FONDS W.I
Car si le sol se dérobe sous nos pieds, depuis trop longtemps, maintenant, nous nous devons de rendre l’inquiétude, qui en découle, féconde. Un défi pour ces assises, qui ne doivent pas nous trouver dans un état de tétanie parfaite, mais nous inciter, au contraire, à user de la frustration collective et des nombreux outils des sciences sociales, afin d’aider à accoucher le monde qui advient. Quant à celui qui nous tient lieu de vie, présentement, il nous appartient de le rendre audible, en le rhabillant avec nos espérances. Un défi pour les intellectuels et la société civile, si nous voulons, bien sûr, éviter que le spectre du séparatisme, fabriqué, de toutes pièces, par l’adversité, ne déploie, à nouveau, ses ailes, devant la faiblesse d’un Etat, rendu incapable de se reproduire, sans nier l’unité et la diversité qui l’ont porté, jadis.
« Nous avons un paysage, il faut en faire un Pays, nous avons une population, il faut en faire un peuple » affirme Césaire dans le Cahier d’un retour au pays natal. Des mots qui rappellent que nous en sommes encore à mendier une existence, aujourd’hui, dans le concert des nations, en dépit du rêve d’indépendance entrevu en 1975. Peut-on y parvenir, sans tendre la main à notre semblable ?

Soeuf Elbadawi I Uropve ©muzdalifahouse.com

[1] La crise de la culture.

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POST SCRIPTUM SUR MAYOTTE LA « SWAHILI ». Mayotte, 101ème département français. Une île de l’archipel des Comores, qui aurait pu figurer un campement aux abords de Calais. Une enclave postcoloniale, et comme telle soumise à des mesures d’exception, à une gouvernementalité spécifique, qui s’inscrit dans la filiation de la « colonie ». Si la colonie a la forme d’une enclave, c’est parce que son premier modèle, c’est l’île. Une île conçue comme un isolat, comme un laboratoire, où pourront s’expérimenter de nouveaux modes d’exploitation, de gouvernement, de gestion des ressources naturelles, etc.

7ème ART DANS L’UNION DES COMORES. Ce titre paraît, aujourd’hui, quelque peu emprunté. Parler de cinéma dans l’archipel des Comores revient parfois à disserter dans un désert sans nom. Non pas que les images n’y circulent pas en nombre – il y a longtemps que le net, la télé et le DVD y font leur nid – mais le cinéma en tant que pratique d’expression culturelle y fait surtout partie des arts nouveaux.

MA VIRGINITE. Une chronique consacrée à Tonton ! Rends-moi ma virginité (Orphie)[1], le livre de Nassur Attoumani. Une proposition faite par El-badaoui Said Aboud, dans le cadre d’un atelier dédié à la critique littéraire, au département Lettres Modernes de l’Université des Comores, lors de la seconde édition du Badja Place à Moroni en mars 2017.

EXPRESS DÛA Nous aimerions croire en l’avenir ! Mais nous ne savons guère à quoi il ressemble. Difficile de faire mieux que nos devins ! A peine si nous nous sentons capables de tenir les promesses faites en une nuit de sombre inquiétude. Un jour avions-nous dit, nous bâtirons une cité de vérités en lieu et place de nos errances actuelles. Un monde de djinns et d’espérances multiples, où il ferait bon conjuguer le verbe « être » en pays de lune, au présent et sans la moindre hésitation. Car le rêve du Muzdalifa House est quand même de traverser une mer en furie sur un boutre rempli de petits d’homme malicieux et sans soucis.
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