Ali Zamir : "La littérature est une chance de pouvoir accéder à l'impossible"

Ali Zamir : "La littérature est une chance de pouvoir accéder à l'impossible"

ENTRETIEN. Un an après son "Anguille sous roche", le romancier comorien publie "Mon étincelle". Son charme de conteur si étonnamment original s'y confirme.

Depuis la parution, voici un an, de son premier roman, Anguille sous roche (vendu à plus de 10 000 exemplaires, indique son éditeur, et qui paraît en édition de poche le 7 octobre), Ali Zamir est devenu du jour au lendemain, ou presque, un écrivain de toutes parts salué, Prix Senghor du premier roman, Prix Nelson Mandela... À la faveur d'une résidence au long cours à Montpellier (Lattara), l'écrivain a écrit en trois mois son nouveau roman, Mon étincelle, qu'il portait en lui depuis longtemps.

«  La vie est un voyage plein de haut-le-cœur provoqués par des secousses mortelles, il faut toujours savoir s'accrocher  », lit-on aux premières pages de ce nouveau livre inspiré par une grosse frayeur éprouvée par l'auteur, nous explique-t-il, lors d'un voyage en avion particulièrement turbulent, au-dessus de l'archipel des Comores où il est né. Cette fois, son héroïne ne se débat pas dans les flots, mais dans les airs, inquiète de savoir comment va finir son voyage de retour à la maison, un temps suspendu durant lequel elle ausculte son cœur, bien turbulent, lui aussi.

Ali Zamir, à l'occasion d'un passage à Paris (il vit toujours à Montpellier), entre deux festivals littéraires et bientôt la Foire de Francfort (du 11 au 15 octobre) – grand rendez-vous de l'édition mondiale dont la France, plus exactement la langue française, est l'invitée d'honneur –, nous fait « l'obole d'un mot » (et même de plusieurs !) comme le dit joliment l'expression employée dans Mon étincelle.
De quoi s'agit-il dans son nouveau roman ? D'un chassé-croisé amoureux, d'une génération à l'autre, entre Anjouan et la Grande Comore, en passant par Madagascar. L'héroïne se nomme Étincelle, elle est le feu de joie qui anime et réchauffe la vie de sa mère. Celle-ci lui contait, chaque soir, une histoire d'amour pleine de suspense : celle de Douleur et de Douceur qui «  s'aimaient éperdument  ». Étincelle se la remémore et raconte alternativement sa propre histoire d'amour avec Vitamine, et les secousses qu'elle connaît.

L'extraordinaire inventivité de l'écrivain, par-delà les normes, déployée sur plusieurs registres dans ce texte moins « anguilliforme », puisque polyphonique, fait de nouvelles étincelles. L'inscription dans les problématiques de sa société natale traverse celles de bien d'autres mondes, et surtout, l'âme humaine y est peinte avec une palette de nuances que ni la naïveté ni la roublardise ne teintent uniformément. L'étonnement, dans ce qu'il a de plus fructueux, même s'il faut avouer que ses audaces déconcertent et déstabilisent les puristes et autres académiques, jaillit de cette lecture. L'écriture y est moins « tendue » que celle du précédent, mais ce livre confirme l'art de conter absolument original de l'écrivain trentenaire.

Le Point : Après Anguille, voici Étincelle, votre nouvelle héroïne, un hasard ou votre écriture a-t-elle besoin du féminin  ?

Ali Zamir : La femme est source d'inspiration, elle est à la source de la beauté même de la vie. C'est elle qui fait que l'on produit des œuvres de beauté, une littérature aux aspects sensibles, qui conviennent à la nécessité même de l'être humain. Celui-ci a besoin de cette « éblouissance » de la femme pour son avenir. Et dans mes écrits, oui, je parle toujours de la femme, mais aussi des enfants et des pauvres. J'écris souvent aussi sur la ruse, la naïveté, qui peuvent être combattues par cette liberté ou cet espoir de pouvoir s'en sortir. Or, la femme est particulièrement victime de la ruse.

Entre la situation de la mère d'Étincelle et celle de sa fille (sans parler d'autres personnages de femmes mariées, trompées, abandonnées, etc.), il ne semble pas y avoir beaucoup de progrès dans la société comorienne...

La femme reste marginalisée, elle est victime du fait que, si elle n'obéit pas à ce que ses parents veulent d'elle, elle se retrouve délaissée et victime de son choix. Le cercle familial la considère comme un objet, une propriété, et l'abandonne en cas d'échec. La femme est donc marginalisée du côté familial et, de l'autre, victime de discrimination professionnelle.

Est-ce parce que vous traitez de la maladie d'amour que vos personnages se nomment Douleur, Vitamine, Efferalgan, Dafalgan, Calcium  ?

Je préfère employer des surnoms plutôt que des noms, car ils me permettent d'accéder à l'impossible : faire de mon écriture une écriture universelle au travers de laquelle tout le monde peut s'identifier. Si elle parle de la société comorienne, elle dépasse le cas d'un Comorien à travers ces surnoms. Et je le fais aussi sachant que je brave des interdits, car ces sujets sont sensibles dans notre société, ce n'est pas facile, et j'en parle, pour tout le monde.

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Justement, dès votre premier roman, vous parliez d'une prise de risque face à certains tabous chez vous. Vous n'êtes pas retourné aux Comores depuis plus d'un an. Quel écho avez-vous de votre premier roman là-bas, et de votre succès en général ?

La majorité des Comoriens sont fiers de ma réussite, c'est une chance pour moi d'être considéré comme un grand écrivain, même je ne me vois pas comme tel, le plus gros travail est à faire ! Mais je suis le premier à remporter des prix littéraires internationaux, le prix Senghor, le prix Nelson Mandela, et mes textes sont très médiatisés. Cela dit, il y a aussi une catégorie de gens aux Comores qui ne sont pas du tout contents de ce que j'écris, disant qu'Anguille sous roche entraîne aux débauches, et j'avoue que j'aurais aimé entendre quelqu'un me le dire, car cela m'étonne que ces gens-là ne voient que cela dans le roman. Le débat serait fructueux pour tout le monde.

Un des personnages de Mon étincelle se nomme Espoir, un homme que sa famille a désigné comme l'époux de la jeune fille et qui revient de France, d'où son nom  ?

C'est un personnage qui caractérise ce qu'on appelle chez nous les « je viens », autrement dit ces Franco-Comoriens qui ne pensent qu'à vivre ailleurs, et quand ils reviennent au pays, c'est pour la fanfaronnade. J'ai entendu beaucoup d'histoires autour d'eux, et m'en suis inspiré, notamment du fait que, pour les plus vieux, un personnage comme Espoir est vraiment vu comme un signe d'espoir, parce qu'ils ne comprennent pas qu'être en Europe ne signifie pas qu'on puisse tout avoir.

Vous-même, qui vous êtes installé à Montpellier, avez-vous envie de rentrer chez vous  ? Et avec quel projet  ?

Bien sûr que je veux rentrer chez moi, et je voudrais y travailler à appuyer le domaine de l'éducation. Aider les jeunes qui veulent aller plus loin, ouvrir des bibliothèques, des médiathèques, entraîner les jeunes à lire et à écrire.

Vous écrivez en français, dites-vous, pour être plus libre de vous exprimer sur tous les sujets. Formellement, comment dosez-vous la liberté que vous prenez avec la «  norme  », entre vocabulaire recherché et défis aux règles  ? À quel(s) critère(s) votre écriture obéit-elle ?

Je ne sais pas si j'ai des critères, mais mon but était de faire de mon écriture une écriture qui brave les frontières et les conventions romanesques. Je refuse le cloisonnement, d'enfermer mes textes dans des règles, des conventions littéraires, parce que, pour moi, la littérature, c'est une chance de pouvoir accéder à l'impossible. C'est le texte qui impose sa propre méthode de lecture, pas le critique littéraire, le texte littéraire varie selon le lieu, l'endroit, la personne, la situation qui entoure l'écrivain. Moi, quand j'écris, j'essaie de faire en sorte que mes textes brouillent les frontières au-delà de ces méthodes, tout en respectant des règles, je mélange vocabulaire recherché et familier.

La forme elle-même, par exemple sans ponctuation dans Anguille, imite la situation, l'état d'esprit du personnage. Avec Mon étincelle, c'est une écriture excentrique, car le récit n'est pas linéaire. Il est sans cesse coupé par des mises en attente, car le lecteur est mis en attente, car l'héroïne est mise en attente par sa mère, et elle-même met en attente les autres personnages, donc on a une mise en abîme qui crée une rupture avec les méthodes conventionnelles du récit traditionnel. Ce roman se distingue par cette polyphonie, cette richesse de récits enchâssés avec une prolifération de thèmes abordés. Pas seulement celui de la discrimination professionnelle de la femme, mais aussi celui du témoignage, de la corruption, du partage… Et comme je le disais précédemment, de la ruse, de la naïveté, qui, déjà du temps de La Fontaine avec «  Le Corbeau et le Renard  », sont des thèmes qui restent universels et qui me sont chers.

Vous faites partie des 150 écrivains traduits en allemand représentant «  Francfort en français  », aux côtés de Modiano, Le Clézio, Marie NDiaye, Houellebecq, Daoud et tant d'autres : déjà  ?

C'est un grand honneur, et moi aussi, j'étais très surpris de l'apprendre, mais cela veut dire que j'ai eu de la chance, c'est tout ! Et c'est ce que j'ai toujours pensé...

«  Mon étincelle  » d'Ali Zamir, éd. Le Tripode, 280 pages, 19 euros. «  Anguille sous roche  » paraît le 5 octobre en édition de poche chez le même éditeur.

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