Nécessité impérieuse de séparer la religion de l’État aux Comores

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En finir avec l'hypocrisie d'une « religion d'État » instrumentalisée par le politique. Au lendemain du putsch du 13 mai 1978...

En finir avec l'hypocrisie d'une «religion d'État» instrumentalisée par le politique.

Au lendemain du putsch du 13 mai 1978 qui renversa le régime politique révolutionnaire et avant-gardiste d'Ali Soilihi, on a tout entendu au sujet du peu de cas que faisait, semble-t-il, le révolutionnaire pressé de l'Islam. Sous Ali Soilihi, la République était laïque, et quelques mesures avaient été prises non pas contre l'Islam, mais contre certaines pratiques déformant cette religion, dans un contexte générale troublé. Déjà, en 1975, on pouvait noter que les Comoriens étaient adeptes d'«[...] un Islam que des Libyens, en visite au mois de décembre dernier [1974]dans l'archipel, qualifiaient de"médiéval". 

Dans ce contexte, les mots et les valeurs occidentales n'ont plus le même sens et ne constituent qu'un rituel [...]»: Daniel Junqua:Comores. Responsables traditionnels et jeunes élites. Un inquiétant exemple de décolonisation «à la française», Le Monde diplomatique, avril 1975, p. 15. De manière générale, le régime politique du Président Ahmed Abdallah (1978-1989), connaissant bien les «ressorts intimes» de la société comorienne, et exploitant à fond les frayeurs nées de la fougue révolutionnaire des années 1975-1978, fit de l'Islam la religion d'État, instaura la République fédérale islamique des Comores, et interdit toute révision constitutionnelle qui pourrait toucher les dispositions relatives à l'Islam.
       

Depuis, on a assisté à une froide instrumentalisation de l'Islam, une religion devant servir à légitimer l'autorité publique et ses actions. Mais que signifie République fédéraleislamique dans un pays comme les Comores? En réalité, rien. Car, comme l'a si bien écrit l'orientaliste Maxime Rodinson, «gouvernement islamique en soi ne veut rien dire. On peut déclarer islamique l'État qu'on dirige moyennant quelques conditions minimales aisées à remplir: proclamer la fidélité à l'Islam dans les textes constitutionnels, mettre ou remettre en vigueur légalement quelques mesures archaïques spectaculaires, se concilier – facilement (chez les Sunnites) ou avec plus de difficultés éventuellement (en pays chiite) – le corps des Ulama. Mais en dehors de ce minimum, le champ est vaste. On peut avoir affaire à des régimes différents et même diamétralement opposés. Ils peuvent s'accuser mutuellement de trahir le"vrai" Islam. Rien n'est plus facile ni plus dangereux que de manier l'accusation ancestrale: l'adversaireest un "ennemi de Dieu" ('adou Allah).Ces anathèmes mutuels, incorporés souvent dans les fatwa (consultations) contradictoires des autorités complaisantes, ne sont pas non plus de nature à renforcer la confiance en la vertu de l'islamité proclamée d'un État»: Maxime Rodinson: L'Islam: Politique et croyance, Fayard, Paris, 1993, pp. 290-291.
      
C'est vrai. Mais, il y a mieux. Ce mieux, c'est la laïcité que véhicule le Coran, en laissant à chacun la liberté de suivre sa voie. L'Islam est une religion laïque car la soumission en Dieu doit se faire de manière libre, consciente et volontaire, et cela, non pas parce que tel théoricien l'a suggéré, mais parce que le message coranique le veut et l'affirme avec fermeté et clarté:
«Point de contrainte en religion» (Coran, II, La Vache, 252)
«Dis: "O vous les infidèles!
Je n'adore pas ce que vous adorez;
Vous n'adorez pas ce que j'adore.
Moi, je n'adore pas ce que vous adorez;
Vous, vous n'adorez pas ce que j'adore.
À vous, votre religion;
À moi, ma religion"» (Coran, CIX, Les Infidèles, 1-6).
      
Or, aujourd'hui, ces règles coraniques de base sont violées par l'autorité comorienne, le chef de l'État en l'occurrence, qui va jusqu'à oser décréter, en janvier 2012, les règles pour être Musulman aux Comores! Nulle part au monde, on n'a assisté à une dérive théocratique aussi radicale et aussi liberticide, mais surtout contraire à l'esprit et à la lettre du Coran. Pour tout dire, le Président de la République ne dispose d'aucune autorité pour dire aux Comoriens comment faire la prière, comment jeûner, comment faire l'aumône légale (zakat), etc. Ce pouvoir lui est d'autant plus contesté que ses actes posent problème quand ils sont envisagés sous l'angle de la corruption, une pratique maudite par l'Islam et qu'encourage et développe au quotidien ce chef de l'État. En effet, l'Islam est très virulent contre la corruption:
«Et quand on leur dit: "Ne semez pas la corruption sur la terre", ils disent:"Au contraire nous ne sommes que des réformateurs!"» (Coran, II, La Vache, 11).
«Ne vous emparez pas mutuellement de vos biens de manière illicite et ne corrompez pas les dirigeants afin d'engloutir injustement une fraction des biens d'autrui alors que vous vous savez en tort» (Coran, II, La Vache, 188)
      Le Prophète Mohamed lui-même n'est pas tendre envers la corruption: «Dieu maudit le corrupteur, le corrompu et l'intermédiaire entre les deux».
      
Les principaux dirigeants comoriens commencent leur mandat en tenant à la main un texte du Coran et en jurant au nom de Dieu de faire leur travail de manière sincère. Ils insultent Dieu chaque fois qu'ils volent l'argent du peuple, chaque fois que leurs familles piétinent la dignité et la personnalité des Comoriens. Comme ce ne sont pas des férus de religion, ils ne savent même pas ce qu'ils font. Pourtant, depuis 2006, on assiste à une débauche de boubous à Beït-Salam, sans que cette religiosité apparente ne soit suivie d'une religiosité réelle. Il ne fait plus de doute que même l'autorité religieuse nage dans la corruption, et le scandale lié à Saïd Abdallah Rifki est là pour témoigner des dérives constatées en matière de religion aux Comores depuis des décennies. Les Comoriens étaient médusés de voir à la télévision leur Président s'avachir sur les tapis de la grande mosquée de Ntsoudjini pendant des heures et durant un mois de ramadan, en assistant aux conférences du Mufti, dont le secrétaire général était appréhendé dans une grave affaire de corruption liée à l'alcool dans un pays musulman!
      
Aujourd'hui donc, alors que les Comores sont en train de récolter ce que certains de leurs dirigeants ont semé dans leurs relations avec la République islamique d'Iran, les Chiites font l'objet de poursuites judiciaires et de persécutions politiques. Comme en Irak, au Liban, en Syrie et ailleurs, on assiste à une opposition entre Sunnites et Chiites. Or, dans le dogme de l'Islam, les Gens du Livre (Juifs, Chrétiens et Sabéens) ne sont soumis à aucune obligation particulière en terre d'Islam, en dehors du paiement d'une taxe liée à leur statut de «dhimmis», les protégés. Que dire donc des Chiites, qui sont des Musulmans, mais qui ont une singulière façon de l'être, et même s'ils sont en mesure de causer des problèmes au sein du corps social?
      
Il est donc temps de revenir au dogme de l'Islam, celui du libre arbitre, celui de la liberté laissée à chacun d'adorer Dieu de façon consciente et libre, loin de toute contrainte. Comme le Président de la République, par ses actes publics d'homme public, viole publiquement les lois de l'Islam, il serait temps de retirer l'Islam de la Constitution et de la prestation de serment en début de mandat. Il faut que l'Islam revienne à son statut initial, celui d'affaire personnelle, celui d'affaire ne regardant que l'Homme dans sa relation avec Dieu. Pour éviter toute confusion, il faut également séparer l'Islam de la civilisation islamique, civilisation dont les coutumes ne s'inspirent pas nécessairement de la religion islamique.
      
Trop d'hypocrisies sont commises par l'autorité comorienne au nom de l'Islam, et il est temps de mettre un terme à tout ça. Les conventions internationales auxquelles les Comores sont parties posent le principe de la liberté de culte, et cette liberté doit être respectée. Alors qu'à Mayotte, au nom des lois de la République française, a été célébré un mariage entre deux personnes du même sexe, l'incomparable, inégalable et inimitable Ahmed Sambi, dont la religiosité est sujette à caution, condamne ledit mariage. Que notre éducation et notre culture réprouvent ce type d'union ne doit pas nous pousser au ridicule car ce qui se passe sur les trois îles est tellement difficile à gérer que nous n'avons pas le temps de nous occuper des mariages des gens qui ont choisi de vivre leur différence. Laissons donc l'Islam à sa place.

Par ARM
© lemohelien – Mardi 10 décembre 2013.
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